Le mercredi 5 avril de l'an 30, Judas Iscariot disparut du groupe de ses frères et ne revint que tard dans l'après-midi. Malgré la recommandation expresse de son Maitre de ne pas entrer à Jérusalem, cet apôtre troublé et mécontent se rendit en hâte à son rendez-vous avec les ennemis de Jésus, chez le grand-prêtre Caïphe. Il s'agissait d'une réunion officieuse du sanhédrin, fixée pour un peu après dix heures ce matin-là, en vue de discuter la nature des accusations qu'il fallait porter contre Jésus et de décider la procédure à suivre pour le faire comparaître devant les autorités romaines; en effet, il était nécessaire d'obtenir de celles-ci la confirmation civile de la sentence de mort déjà prononcée par le sanhédrin contre Jésus.
La veille, Judas avait révélé à quelques membres de sa famille, et à certains sadducéens, amis de la famille de son père, qu'il était arrivé à la conclusion que Jésus était un rêveur et un idéaliste bien intentionné, mais non le libérateur attendu d'Israël. Judas exposa qu'il aimerait beaucoup trouver une manière élégante de se retirer de tout le mouvement. Ses amis l'assurèrent flatteusement que son retrait serait salué par les dirigeants juifs comme un grand évènement, et, ensuite, il pourrait prétendre à n'importe quoi. Ils l'amenèrent à croire qu'il recevrait aussitôt de grands honneurs du sanhédrin et qu'enfin, il serait en position d'effacer la flétrissure de son “ association bien intentionnée, mais malencontreuse avec des Galiléens incultes ”.
Judas ne pouvait pas entièrement croire que les grandes oeuvres du Maitre avaient été accomplies par le pouvoir du prince des démons, mais il était désormais pleinement convaincu que Jésus n'exercerait pas son pouvoir pour s'assurer des avantages personnels. Il avait enfin acquis la certitude que Jésus se laisserait tuer par les dirigeants juifs, et Judas ne pouvait supporter la pensée humiliante d'être identifié avec un mouvement voué à l'échec. Il refusait de considérer l'idée d'un échec apparent. Il comprenait pleinement la fermeté de caractère de son Maitre et l'acuité de son mental majestueux et miséricordieux; néanmoins, il prit plaisir à accepter, ne fût-ce que partiellement, la suggestion d'un membre de sa famille selon laquelle Jésus, bien qu'il fût un fanatique bien intentionné, n'était probablement pas vraiment sain d'esprit et avait toujours paru être une personne étrange et mal comprise.
Et maintenant plus que jamais, Judas commença à éprouver un étrange ressentiment parce que Jésus ne lui avait jamais attribué une situation plus honorifique. Judas avait continuellement gouté l'honneur d'être le trésorier apostolique, mais, désormais, il commençait à sentir qu'il n'était pas apprécié, que ses aptitudes n'étaient pas reconnues. Il fut soudain submergé d'indignation du fait que Pierre, Jacques et Jean aient été honorés d'une association étroite avec Jésus, et, à ce moment-là, tandis qu'il se dirigeait vers la maison du grand-prêtre, il était beaucoup plus préoccupé de prendre sa revanche sur Pierre, Jacques et Jean que de songer à trahir Jésus. Mais surtout, à ce moment précis, une nouvelle idée dominante commença à occuper la première place dans son mental conscient; il avait entrepris d'obtenir des honneurs pour lui-même, et s'il pouvait se les assurer en même temps qu'il prendrait sa revanche sur ceux qui avaient contribué à la plus grande déception de sa vie, eh bien, tant mieux. Il était la proie d'un terrible complexe de honte, d'orgueil, de désespoir et de résolution. Il faut donc qu'il soit clair que ce n'était pas pour de l'argent que Judas se rendait chez Caïphe en vue de prendre des dispositions pour trahir Jésus.
Tandis que Judas approchait de la demeure de Caïphe, il prit définitivement la décision d'abandonner Jésus et ses compagnons apôtres. Ayant ainsi résolu de déserter la cause du royaume des cieux, il décida de s'assurer pour lui-même le maximum de cet honneur et de cette gloire dont il avait espéré être un jour gratifié, quand il s'identifia, pour la première fois, avec Jésus et le nouvel évangile du royaume. Tous les apôtres avaient jadis partagé cette ambition avec Judas, mais, au cours des quatre ans passées, ils avaient appris à admirer la vérité et à aimer Jésus, tout au moins mieux que Judas.
Le traitre fut présenté à Caïphe et aux dirigeants juifs par son cousin. Celui-ci expliqua que Judas, ayant découvert l'erreur qu'il avait commise en se laissant égarer par le subtil enseignement de Jésus, était arrivé au point où il désirait renoncer publiquement et officiellement à son association avec le Galiléen, et, en même temps, demander à être rétabli dans la confiance et la communauté de ses frères judéens. Le porte-parole de Judas continua en exposant que, d'après Judas, il valait mieux, pour la paix en Israël, que Jésus fût mis en prison. Comme preuve de son regret d'avoir participé à ce mouvement d'erreur, et de la sincérité de son retour aux enseignements de Moïse, Judas était venu s'offrir lui-même au sanhédrin comme étant celui qui pouvait prendre, avec le capitaine détenteur du mandat d'arrêt, des dispositions pour que Jésus soit mis en prison sans esclandre, ce qui écarterait tout danger d'ameuter les multitudes, ou la nécessité de retarder son arrestation jusqu'après la Pâque.
Après avoir fini de parler, le cousin présenta Judas, qui s'approcha du grand-prêtre et dit : “ Je ferai tout ce que mon cousin a promis, mais qu'êtes-vous disposés à me donner pour ce service ? ” Judas ne sembla pas discerner l'expression de dédain, ou même de dégout, qui passa sur le visage du vaniteux Caïphe au coeur endurci; le coeur de Judas était trop préoccupé de sa propre gloire et du désir de satisfaire l'exaltation de son moi.
Caïphe abaissa alors son regard sur le traitre et dit : “ Judas, va trouver le capitaine de la garde et arrange-toi avec cet officier pour qu'il nous amène ton Maitre ce soir ou demain soir. Quand il aura été livré par toi entre nos mains, tu recevras ta récompense pour ce service. ” Après avoir entendu ces paroles, Judas quitta les chefs des prêtres et les dirigeants pour conférer avec le capitaine des gardes du temple sur la manière d'appréhender Jésus. Judas savait que Jésus était alors absent du camp, et il n'avait aucune idée de l'heure de son retour ce soir-là. Ils convinrent donc d'arrêter Jésus le lendemain soir (jeudi) après que le peuple de Jérusalem et tous les pèlerins visiteurs se seraient retirés pour la nuit.
Judas retourna au camp auprès de ses associés, enivré de pensées de grandeur et de gloire comme il n'en avait pas eu depuis bien longtemps. Il s'était enrôlé auprès de Jésus avec l'espoir de devenir, un jour, un grand être humain dans le nouveau royaume, et s'était enfin rendu compte qu'il n'y aurait pas de nouveau royaume conforme à ses espérances. Mais il se réjouissait d'être assez sagace pour troquer la déception de son échec, qui était de parvenir à la gloire dans le nouveau royaume espéré, contre l'obtention immédiate d'honneurs et de récompenses dans l'ancien ordre de choses. Il croyait maintenant que cet ancien ordre survivrait et détruirait certainement Jésus et tout ce qu'il représentait. Dans son ultime mobile d'intention consciente, la trahison de Jésus par Judas fut l'action lâche d'un déserteur égoïste ne pensant qu'a sa propre sécurité et à sa glorification, quels que dussent être les résultats de sa conduite pour son Maitre et pour ses anciens associés.
Mais il en avait toujours été ainsi. Depuis longtemps, et avec une conscience délibérée, obstinée, égoïste et vindicative, Judas avait progressivement accumulé, dans son mental, et entretenu, dans son coeur, ces désirs mauvais et haïssables de revanche et d'infidélité. Jésus aimait Judas et lui faisait confiance autant qu'aux autres apôtres, mais Judas ne parvint pas à manifester en retour une confiance loyale ni à éprouver un amour sincère. Combien l'ambition peut devenir dangereuse quand elle se marie entièrement avec l'égoïsme et que sa motivation suprême est une sombre vengeance longtemps refoulée ! Quelle chose écrasante que la déception dans la vie de ces insensés qui fixent leur regard sur les attraits fugitifs et évanescents du temps, et deviennent ainsi aveugles aux accomplissements supérieurs et plus effectifs des aboutissements perpétuels des mondes éternels des valeurs divines et des vraies réalités spirituelles. Dans son mental, Judas désirait ardemment les honneurs terrestres, et en vint à aimer ce désir de tout son coeur. Dans leur mental, les autres apôtres désiraient également les honneurs de ce monde, mais, dans leur coeur, ils aimaient Jésus et faisaient de leur mieux pour apprendre à aimer les vérités qu'il leur enseignait.
À ce moment, Judas ne le réalisait pas, mais il avait toujours critiqué Jésus dans son subconscient depuis le jour où Jean le Baptiste avait été décapité par Hérode. Au plus profond de son coeur, Judas avait toujours été froissé que Jésus n'ait pas sauvé Jean. Il ne faut pas oublier que Judas avait été un disciple de Jean avant de se mettre à suivre Jésus. Et tout cet amoncellement de ressentiments humains et d'amères déceptions que Judas avait accumulé dans l'âme, sous couleur de haine, était maintenant bien organisé dans son mental subconscient, et prêt à surgir et à l'engloutir s'il osait se séparer du soutien influent de ses compagnons, et, en même temps, s'exposer aux habiles insinuations et aux subtiles moqueries des ennemis de Jésus. Chaque fois qu'il avait laissé ses espérances monter à un diapason élevé et que Jésus avait dit ou fait quelque chose pour les anéantir, il subsistait toujours, dans le coeur de Judas, une cicatrice de ressentiment amer. Et comme ces cicatrices se multipliaient, ce coeur si souvent blessé perdit, bientôt, toute affection réelle pour celui qui avait infligé cette expérience désagréable à une personnalité bien intentionnée, mais poltronne et égocentrique. Judas ne s'en rendait pas compte, mais il était un lâche. En conséquence, il avait toujours tendance à attribuer à la lâcheté les mobiles qui conduisirent si souvent Jésus à refuser de saisir le pouvoir et la gloire, alors qu'en apparence, ils étaient si facilement à sa portée. Et tout mortel sait bien que l'amour – même s'il a jadis été sincère – peut finalement se transformer en haine réelle sous l'influence des déceptions, de la jalousie et d'un ressentiment longtemps entretenu.
Les chefs des prêtres et les anciens purent enfin respirer tranquillement pendant quelques heures. Ils n'allaient pas être obligés d'arrêter Jésus en public. Les services de Judas, en tant qu'allié et traitre, leur assuraient que Jésus n'échapperait pas à leur juridiction comme il l'avait fait si souvent dans le passé.
Par ses agents secrets à Jérusalem, David Zébédée, le frère de Jacques et Jean, était pleinement renseigné sur les progrès du plan pour arrêter et tuer Jésus. Il était parfaitement au courant du rôle de Judas dans le complot, mais il ne révéla jamais cette connaissance aux autres apôtres ni à aucun des disciples. Peu après le déjeuner, il prit Jésus à part et se permit de lui demander s'il savait... Mais il ne put jamais formuler entièrement sa question. Le Maitre leva la main pour l'interrompre et dit : “ Oui, David, je suis au courant de tout, et je sais que tu es au courant, mais veille à n'en parler à personne. Seulement, ne doute pas, dans ton propre coeur, que la Volonté de Dieu finira par prévaloir. ”
La veille, Judas avait révélé à quelques membres de sa famille, et à certains sadducéens, amis de la famille de son père, qu'il était arrivé à la conclusion que Jésus était un rêveur et un idéaliste bien intentionné, mais non le libérateur attendu d'Israël. Judas exposa qu'il aimerait beaucoup trouver une manière élégante de se retirer de tout le mouvement. Ses amis l'assurèrent flatteusement que son retrait serait salué par les dirigeants juifs comme un grand évènement, et, ensuite, il pourrait prétendre à n'importe quoi. Ils l'amenèrent à croire qu'il recevrait aussitôt de grands honneurs du sanhédrin et qu'enfin, il serait en position d'effacer la flétrissure de son “ association bien intentionnée, mais malencontreuse avec des Galiléens incultes ”.
Judas ne pouvait pas entièrement croire que les grandes oeuvres du Maitre avaient été accomplies par le pouvoir du prince des démons, mais il était désormais pleinement convaincu que Jésus n'exercerait pas son pouvoir pour s'assurer des avantages personnels. Il avait enfin acquis la certitude que Jésus se laisserait tuer par les dirigeants juifs, et Judas ne pouvait supporter la pensée humiliante d'être identifié avec un mouvement voué à l'échec. Il refusait de considérer l'idée d'un échec apparent. Il comprenait pleinement la fermeté de caractère de son Maitre et l'acuité de son mental majestueux et miséricordieux; néanmoins, il prit plaisir à accepter, ne fût-ce que partiellement, la suggestion d'un membre de sa famille selon laquelle Jésus, bien qu'il fût un fanatique bien intentionné, n'était probablement pas vraiment sain d'esprit et avait toujours paru être une personne étrange et mal comprise.
Et maintenant plus que jamais, Judas commença à éprouver un étrange ressentiment parce que Jésus ne lui avait jamais attribué une situation plus honorifique. Judas avait continuellement gouté l'honneur d'être le trésorier apostolique, mais, désormais, il commençait à sentir qu'il n'était pas apprécié, que ses aptitudes n'étaient pas reconnues. Il fut soudain submergé d'indignation du fait que Pierre, Jacques et Jean aient été honorés d'une association étroite avec Jésus, et, à ce moment-là, tandis qu'il se dirigeait vers la maison du grand-prêtre, il était beaucoup plus préoccupé de prendre sa revanche sur Pierre, Jacques et Jean que de songer à trahir Jésus. Mais surtout, à ce moment précis, une nouvelle idée dominante commença à occuper la première place dans son mental conscient; il avait entrepris d'obtenir des honneurs pour lui-même, et s'il pouvait se les assurer en même temps qu'il prendrait sa revanche sur ceux qui avaient contribué à la plus grande déception de sa vie, eh bien, tant mieux. Il était la proie d'un terrible complexe de honte, d'orgueil, de désespoir et de résolution. Il faut donc qu'il soit clair que ce n'était pas pour de l'argent que Judas se rendait chez Caïphe en vue de prendre des dispositions pour trahir Jésus.
Tandis que Judas approchait de la demeure de Caïphe, il prit définitivement la décision d'abandonner Jésus et ses compagnons apôtres. Ayant ainsi résolu de déserter la cause du royaume des cieux, il décida de s'assurer pour lui-même le maximum de cet honneur et de cette gloire dont il avait espéré être un jour gratifié, quand il s'identifia, pour la première fois, avec Jésus et le nouvel évangile du royaume. Tous les apôtres avaient jadis partagé cette ambition avec Judas, mais, au cours des quatre ans passées, ils avaient appris à admirer la vérité et à aimer Jésus, tout au moins mieux que Judas.
Le traitre fut présenté à Caïphe et aux dirigeants juifs par son cousin. Celui-ci expliqua que Judas, ayant découvert l'erreur qu'il avait commise en se laissant égarer par le subtil enseignement de Jésus, était arrivé au point où il désirait renoncer publiquement et officiellement à son association avec le Galiléen, et, en même temps, demander à être rétabli dans la confiance et la communauté de ses frères judéens. Le porte-parole de Judas continua en exposant que, d'après Judas, il valait mieux, pour la paix en Israël, que Jésus fût mis en prison. Comme preuve de son regret d'avoir participé à ce mouvement d'erreur, et de la sincérité de son retour aux enseignements de Moïse, Judas était venu s'offrir lui-même au sanhédrin comme étant celui qui pouvait prendre, avec le capitaine détenteur du mandat d'arrêt, des dispositions pour que Jésus soit mis en prison sans esclandre, ce qui écarterait tout danger d'ameuter les multitudes, ou la nécessité de retarder son arrestation jusqu'après la Pâque.
Après avoir fini de parler, le cousin présenta Judas, qui s'approcha du grand-prêtre et dit : “ Je ferai tout ce que mon cousin a promis, mais qu'êtes-vous disposés à me donner pour ce service ? ” Judas ne sembla pas discerner l'expression de dédain, ou même de dégout, qui passa sur le visage du vaniteux Caïphe au coeur endurci; le coeur de Judas était trop préoccupé de sa propre gloire et du désir de satisfaire l'exaltation de son moi.
Caïphe abaissa alors son regard sur le traitre et dit : “ Judas, va trouver le capitaine de la garde et arrange-toi avec cet officier pour qu'il nous amène ton Maitre ce soir ou demain soir. Quand il aura été livré par toi entre nos mains, tu recevras ta récompense pour ce service. ” Après avoir entendu ces paroles, Judas quitta les chefs des prêtres et les dirigeants pour conférer avec le capitaine des gardes du temple sur la manière d'appréhender Jésus. Judas savait que Jésus était alors absent du camp, et il n'avait aucune idée de l'heure de son retour ce soir-là. Ils convinrent donc d'arrêter Jésus le lendemain soir (jeudi) après que le peuple de Jérusalem et tous les pèlerins visiteurs se seraient retirés pour la nuit.
Judas retourna au camp auprès de ses associés, enivré de pensées de grandeur et de gloire comme il n'en avait pas eu depuis bien longtemps. Il s'était enrôlé auprès de Jésus avec l'espoir de devenir, un jour, un grand être humain dans le nouveau royaume, et s'était enfin rendu compte qu'il n'y aurait pas de nouveau royaume conforme à ses espérances. Mais il se réjouissait d'être assez sagace pour troquer la déception de son échec, qui était de parvenir à la gloire dans le nouveau royaume espéré, contre l'obtention immédiate d'honneurs et de récompenses dans l'ancien ordre de choses. Il croyait maintenant que cet ancien ordre survivrait et détruirait certainement Jésus et tout ce qu'il représentait. Dans son ultime mobile d'intention consciente, la trahison de Jésus par Judas fut l'action lâche d'un déserteur égoïste ne pensant qu'a sa propre sécurité et à sa glorification, quels que dussent être les résultats de sa conduite pour son Maitre et pour ses anciens associés.
Mais il en avait toujours été ainsi. Depuis longtemps, et avec une conscience délibérée, obstinée, égoïste et vindicative, Judas avait progressivement accumulé, dans son mental, et entretenu, dans son coeur, ces désirs mauvais et haïssables de revanche et d'infidélité. Jésus aimait Judas et lui faisait confiance autant qu'aux autres apôtres, mais Judas ne parvint pas à manifester en retour une confiance loyale ni à éprouver un amour sincère. Combien l'ambition peut devenir dangereuse quand elle se marie entièrement avec l'égoïsme et que sa motivation suprême est une sombre vengeance longtemps refoulée ! Quelle chose écrasante que la déception dans la vie de ces insensés qui fixent leur regard sur les attraits fugitifs et évanescents du temps, et deviennent ainsi aveugles aux accomplissements supérieurs et plus effectifs des aboutissements perpétuels des mondes éternels des valeurs divines et des vraies réalités spirituelles. Dans son mental, Judas désirait ardemment les honneurs terrestres, et en vint à aimer ce désir de tout son coeur. Dans leur mental, les autres apôtres désiraient également les honneurs de ce monde, mais, dans leur coeur, ils aimaient Jésus et faisaient de leur mieux pour apprendre à aimer les vérités qu'il leur enseignait.
À ce moment, Judas ne le réalisait pas, mais il avait toujours critiqué Jésus dans son subconscient depuis le jour où Jean le Baptiste avait été décapité par Hérode. Au plus profond de son coeur, Judas avait toujours été froissé que Jésus n'ait pas sauvé Jean. Il ne faut pas oublier que Judas avait été un disciple de Jean avant de se mettre à suivre Jésus. Et tout cet amoncellement de ressentiments humains et d'amères déceptions que Judas avait accumulé dans l'âme, sous couleur de haine, était maintenant bien organisé dans son mental subconscient, et prêt à surgir et à l'engloutir s'il osait se séparer du soutien influent de ses compagnons, et, en même temps, s'exposer aux habiles insinuations et aux subtiles moqueries des ennemis de Jésus. Chaque fois qu'il avait laissé ses espérances monter à un diapason élevé et que Jésus avait dit ou fait quelque chose pour les anéantir, il subsistait toujours, dans le coeur de Judas, une cicatrice de ressentiment amer. Et comme ces cicatrices se multipliaient, ce coeur si souvent blessé perdit, bientôt, toute affection réelle pour celui qui avait infligé cette expérience désagréable à une personnalité bien intentionnée, mais poltronne et égocentrique. Judas ne s'en rendait pas compte, mais il était un lâche. En conséquence, il avait toujours tendance à attribuer à la lâcheté les mobiles qui conduisirent si souvent Jésus à refuser de saisir le pouvoir et la gloire, alors qu'en apparence, ils étaient si facilement à sa portée. Et tout mortel sait bien que l'amour – même s'il a jadis été sincère – peut finalement se transformer en haine réelle sous l'influence des déceptions, de la jalousie et d'un ressentiment longtemps entretenu.
Les chefs des prêtres et les anciens purent enfin respirer tranquillement pendant quelques heures. Ils n'allaient pas être obligés d'arrêter Jésus en public. Les services de Judas, en tant qu'allié et traitre, leur assuraient que Jésus n'échapperait pas à leur juridiction comme il l'avait fait si souvent dans le passé.
Par ses agents secrets à Jérusalem, David Zébédée, le frère de Jacques et Jean, était pleinement renseigné sur les progrès du plan pour arrêter et tuer Jésus. Il était parfaitement au courant du rôle de Judas dans le complot, mais il ne révéla jamais cette connaissance aux autres apôtres ni à aucun des disciples. Peu après le déjeuner, il prit Jésus à part et se permit de lui demander s'il savait... Mais il ne put jamais formuler entièrement sa question. Le Maitre leva la main pour l'interrompre et dit : “ Oui, David, je suis au courant de tout, et je sais que tu es au courant, mais veille à n'en parler à personne. Seulement, ne doute pas, dans ton propre coeur, que la Volonté de Dieu finira par prévaloir. ”