Transport de l'Esprit
L'enthousiasme est un transport de l'Esprit qui fait penser les choses d'une manière sublime, surprenante et vraisemblable.Dans son origine grecque, l'enthousiasme est d'abord une inspiration surnaturelle, un feu céleste qui, s'emparant de l'âme de la Sibylle et la remplissant de frénésie, la poussait à annoncer l'oracle.
Enthousiasme (étymologie) : du grec " Transport divin, état de l'être humain en qui la divinité est présente pour l'habiter et l'inspirer "; mot composé du préverbe "dans ", et du mot " dieu ". Le terme grec est lui-même dérivé du verbe " être inspiré des dieux "; dans son dialogue Ion, Platon a donné une importance toute particulière à l'enthousiasme dans sa définition du poète.
L'enthousiasme est très différent de l'état d'euphorie qui n'en est qu'un reflet déformé, une caricature inversée. Cette dernière est une effervescence qui ressemble quelque part à l'enthousiasme, mais ses racines plongent, en bas, dans l'artificialité de l'ego. C'est depuis ce niveau étriqué que le sentiment remonte. Sa joie est, tout au plus, celle du soulagement ou celle de la satisfaction d'un désir égoïste, à moins que ce soit aussi un fol espoir chimérique ou l'impression de l'avoir échappé belle.
Euphorie (étymologie) : comme son nom l'indique (du grec euphoria=force de supporter), c'est une forme réflexe de surcompensation. Fondée sur les peurs illusoires, l'euphorie ne peut qu'entrer en contradiction avec l'instance profonde qui sait et qui ignore la peur. Il y a, par définition, avec l'euphorie, un conflit interne. D'ailleurs elle se manifeste de façon d'autant plus forte que sa cause est "injuste". Elle cherche, de manière désespérée, à forcer les choses, et bien souvent elle pousse jusqu'aux frontières de l'hystérie.
L'enthousiasme est précisément absence de conflits internes et, du coup, tout l'être participe. De ce fait, il y a évolution verticale de l'état.
La force de la Joie
L'être humain joyeux se réjouit certes de ceci ou de cela en particulier ; mais à l'interroger davantage on découvre vite qu'il se réjouit aussi de tel autre ceci et de tel autre cela, et encore de telle et telle autre chose, et ainsi de suite à l'infini. Sa réjouissance n'est pas particulière mais générale : il est "joyeux de toutes les joies". Il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l'objet particulier qui l'a suscitée pour affecter indifféremment tout objet et aboutir à une affirmation du caractère jubilatoire de l'existence en général.La joie apparaît ainsi comme une approbation inconditionnelle de toute forme d'existence présente, passée ou à venir. L'être humain véritablement joyeux se reconnaît paradoxalement à ceci qu'il est incapable de préciser de quoi il est joyeux. Il n'est aucun bien du monde qu'un examen lucide ne fasse apparaître en définitive comme dérisoire et indigne d'attention, ne serait-ce qu'en considération de sa constitution fragile, de sa position à la fois éphémère et minuscule dans l'infinité du temps et de l'espace. L'étrange est que cependant la joie demeure, quoique suspendue à rien et privée de toute assise...
La joie constitue ainsi toujours une sorte d'"en plus", et c'est cet en plus que l'être humain joyeux est incapable d'expliquer et même d'exprimer... Perdue entre le trop et le trop peu à dire, l'approbation de la vie demeure à jamais indicible ; toute tentative visant à l'exprimer se dissout nécessairement dans un balbutiement. La joie, telle la rose dont parle Angelus Silesius dans le Pèlerin chérubinique, peut à l'occasion se passer de toute raison d'être... c'est même peut-être dans la situation la plus contraire, dans l'absence de tout motif raisonnable de réjouissance, que l'essence de la joie se laissera le mieux saisir... L'accumulation d'amour qui constitue la joie est au fond étrangère à toutes les causes qui la provoquent, même s'il lui arrive de ne devenir manifeste qu'à l'occasion de telle ou telle satisfaction particulière...
Elle apparaît ainsi comme indépendante de toute circonstance propre à la provoquer (comme elle est aussi indépendante de toute circonstance propre à la contrarier). Aucun objet ne saurait à lui seul rendre joyeux. Ou plutôt, il arrive bien à un objet quelconque de rendre joyeux : mais le sort paradoxal d'un tel objet est de donner alors plus qu'il n'a effectivement à donner, plus que ce qu'il possède objectivement... La joie est un plein qui se suffit à lui-même et n'a besoin pour être d'aucun apport extérieur... Elle ne se distingue en aucune façon de la joie de vivre, du simple plaisir d'exister : un plaisir plutôt pris au fait qu'il y ait de l'existence en général qu'au fait de son existence personnelle.
La joie d'Être
L'univers n'est pas simplement une formule mathématique destinée à élaborer la relation de certaines abstractions mentales appelées nombres et principes, pour aboutir finalement à un zéro ou à une unité vide; ce n'est pas davantage une simple opération physique exprimant une certaine équation de forces. C'est la joie d'un Dieu amoureux de lui-même, le jeu d'un Enfant, l'inépuisable multiplication de soi d'un Poète enivré par l'extase de son propre pouvoir de création sans fin.Nous pouvons parler du Suprême comme d'un mathématicien traduisant en nombres un calcul cosmique, ou comme d'un penseur qui résout par expérimentation un problème de relation de principes et d'équilibre de forces. Mais nous devrions aussi parler de Lui comme de l'amant, du musicien des harmonies particulières et universelles, comme de l'enfant, du poète. Il ne suffit pas de comprendre son aspect de pensée; il faut encore saisir entièrement son aspect de joie. Les idées, les forces, les existences, les principes sont des moules creux, à moins qu'ils ne soient remplis du souffle de la joie de Dieu.
Si l'Idée embrassant la Force engendra les mondes, la Joie d'Être engendra l'Idée. C'est parce que l'Infini conçut en lui-même une innombrable joie que les mondes et les univers prirent naissance.
La conscience d'être et la joie d'être sont les premiers parents. Elles sont aussi les ultimes transcendances. L'inconscience n'est qu'un intervalle d'évanouissement de la conscience ou son obscur sommeil; la douleur et l'extinction de soi ne sont que la joie d'être se fuyant elle-même afin de se retrouver ailleurs ou autrement.
La joie d'être n'est pas limitée dans le temps; elle est sans fin ni commencement. Dieu ne sort d'une forme que pour entrer dans une autre.
Après tout, qu'est Dieu ? Un éternel enfant jouant un jeu éternel dans un éternel jardin.
La joie victorieuse
Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l'être humain n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte.Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie; il n'indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu'elle a conscience de l'avoir créé, physiquement et moralement.
Celui qui est sûr, absolument sûr, d'avoir produit une oeuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur, parce qu'il le sait, et parce que la joie qu'il éprouve est une joie divine.
La jeunesse
La jeunesse n'est pas une période de la vie, elle est un état d'esprit, un effet de la volonté, une intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, du goût de l'aventure sur l'amour du confort.On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d'années, on devient vieux parce que l'on a déserté son idéal.
Les années rident la peau, renoncer à son idéal ride l'âme. Les préoccupations, les doutes, les craintes et les désespoirs sont les ennemis qui lentement nous font pencher vers la terre et devenir poussière avant la mort.
Jeune est celui qui s'étonne et s'émerveille, il demande comme l'enfant insatiable : et après ? Il défie les évènements et trouve de la joie au jeu de la vie.
Vous êtes aussi jeune que votre foi, aussi vieux que votre doute, aussi jeune que votre confiance en vous-même, aussi jeune que votre espoir, aussi vieux que votre abattement.
Vous resterez jeune tant que vous resterez réceptif : réceptif à ce qui est beau, bon et grand, réceptif aux messages de la nature, de l'être humain et de l'infini.