Cela se passait plusieurs siècles après l'ascension du Maître Jésus. Peut-être étions-nous alors vers le treizième siècle après l'ascension du Maître... Les quatre évangiles et les épîtres des apôtres, notamment les épîtres de Paul, avaient nourri, malgré eux, les ratiocinations des théologiens. Les hommes d'église, s'ils n'étaient pas tous des théologiens, s'adonnaient néanmoins fréquemment aux joutes théologiques, sur le sexe des Anges par exemple, ou sur la double nature humaine et divine du Maître Jésus, ou encore sur le mystère de l'eucharistie, et bien d'autres sujets passionnants... La prière se résumait à des suppliques verbales ou à des oraisons lancinantes, parfois doublées de quelques rituels d'exécution, qui exprimaient en latin l'inconnaissance absolue qu'on avait de Dieu, l'espoir attentiste de Salut qu'on plaçait en la personne du Maître Jésus, ou encore la subjugation émotionnelle que l'on désirait ressentir en pensant au mystère des Écritures et de la relation de Dieu aux Êtres humains...
Dans ce foisonnement d'interprétations théologiques, d'émulsions dogmatiques et d'articles naissants de foi, se formaient des communautés, parfois monastiques, qui essayaient de mettre en oeuvre l'exigence de charité et la nécessité de pauvreté, choses qui paraissaient devoir découler naturellement des enseignements contenus dans les évangiles. Quelques ermites se retiraient des agglomérations humaines et se livraient, dans quelques ermitages en bordure de désert, en pleine forêt ou sur quelque montagne, à une vie ascétique de mutisme, de supplication, de privation, de gymnastique et de mortification, étudiant parfois, quand il arrivait qu'ils sachent lire, les Écritures... Les grands théologiens étaient grands parce qu'ils écrivaient beaucoup de gros livres de théologie et développaient un discours complexe qui ne paraissait compréhensible qu'au prix de nombreux tours et détours intellectuels. Les gros volumes de théologie formaient progressivement un matériau d'enseignement sophistiqué qui devait servir de base à la poursuite des spéculations théologiques, et ainsi de suite... Il s'était déjà formé un enseignement théologique devenu obligatoire si l'on voulait devenir un être humain de foi, et encore plus un être humain d'église...
C'est dans cette atmosphère intellectuelle qu'un aspirant spirituel qui ne savait pas lire se retira dans une grotte à flanc de colline, non loin de la méditerranée, quelque part en Grèce. Il se nourrissait de baies et de fruits sauvages, de certaines herbes comestibles et d'écorces d'arbres. Il faut peut-être préciser qu'il s'adonna à ce régime spécial de manière très progressive, son organisme s'adapta doucement au prix d'un gros effort. Il ne voulait pas dépendre de l'aumône et ne désirait pas dépenser son temps à cultiver un champ et à traire une vache, aussi demandait-il directement à la nature de lui fournir de quoi subsister... Son plus grand désir était de réaliser Dieu, et chaque jour il réfléchissait à la manière de s'y prendre. « Comment réaliser Dieu ? » se demandait-il sans cesse. Il sentait en son coeur que les systèmes théologiques étaient bien incapables de lui apporter une réponse pertinentes, les grands théologiens eux-mêmes ne paraissaient pas vraiment avoir réalisé Dieu, peut-être ne le désiraient-ils pas... Nombreux étaient ceux qui disaient avoir trouvé la foi, et nombreux encore étaient ceux qui disaient avoir trouvé le Salut en la personne du Maître Jésus, d'autres encore attendaient le jour du jugement dernier, l'avènement triomphal du Christ dans les cieux éclatants... Pourtant, malgré ces grandes espérances et ces grandes certitudes de Salut, notre aspirant ne songeait qu'à réaliser Dieu, ce qui signifiait pour lui être comme Jésus, en termes de puissance et de qualité, et non en termes d'histoire linéaire et de figure doctrinale.
Ayant entendu qu'il y avait un ermite qui voulait réaliser Dieu, les trois plus grands théologiens de l'époque vinrent rendre visite à l'ermite-aspirant afin de le convaincre de l'absurdité de son entreprise. Le premier théologien lui expliqua : « La réalisation de Dieu n'a aucun sens, nul être humain ne peut connaître Dieu », ce à quoi l'ermite répondit par un silencieux sourire. Ce théologien précisa, afin de nuancer son affirmation qui paraissait absolue : « Néanmoins tous les êtres humains verront Dieu au jour du jugement dernier, lorsque notre Seigneur descendra sur Terre pour y établir son règne, telle est la Vérité; il serait donc sage que tu abandonnes ta quête, car tu ne saurais hâter ce grand jour », mais l'ermite ne sut répondre que par le même sourire silencieux. Le second théologien lui expliqua : « Réaliser Dieu c'est servir l'Église, tout être humain converti au christianisme doit servir l'Église », ce à quoi l'ermite répondit par un paisible sourire. Ce théologien précisa, afin d'étoffer son affirmation qui paraissait intransigeante : « L'Église est le corps de Dieu sur Terre, et Dieu réside dans l'Église, aussi tout bon chrétien devrait savoir qu'on ne trouve Dieu qu'au sein de l'Église, et qu'on ne plait à Dieu qu'en servant l'Église », mais l'ermite ne sut répondre que par le même sourire paisible. Le troisième théologien lui expliqua : « Réaliser Dieu c'est servir l'Humanité, tout être humain intelligent devrait servir l'Humanité s'il désire trouver Dieu », mais l'ermite ne répondit que par un discret sourire... Les théologiens ne paraissaient pas avoir compris ce qu'il voulait, et dans sa candeur il se contenta de préciser à nouveau ce qu'il désirait : « Je veux juste réaliser Dieu. »
L'ermite-aspirant avait trouvé, dans une urne à demi enfouie dans un terrain vague près de sa grotte, un parchemin particulièrement bien conservé. Comme il ne pouvait pas le lire, il le tendit aux théologiens afin qu'ils le lui lisent. Le plus grand des trois théologiens se saisit du parchemin et lut d'une voix monotone, comme lors d'une messe : « Ceci est l'essence de mon enseignement. Il existe au-dedans de votre coeur, au centre de votre poitrine, une Force solaire de la même nature que la Force cosmique à l'origine des Univers. Cette Force solaire est votre divinité intérieure, il faut l'éveiller si vous voulez devenir des Êtres divins, si vous voulez réaliser votre propre divinité. Développez donc au sein de votre coeur l'amour igné radiant et divin, par une intense et profonde Concentration; et au fil des années nourrissez ainsi votre coeur, votre divinité intérieure s'éveillera alors et vous deviendrez pour l'éternité, comme je le suis devenu, un Humain-Divin. Je suis le Maître Jésus. » À ces mots, les trois théologiens s'exclamèrent : « C'est du n'importe quoi ! », puis le meilleur des théologiens déchira le parchemin, plein de sainte colère et de sainte indignation devant ce qui lui paraissait être une totale absurdité. Mais, en entendant l'enseignement du parchemin, l'ermite écarquilla les yeux : il venait de recevoir la réponse claire et simple à sa question. Il s'agissait à présent de mettre cet enseignement en pratique, ce qui signifiait qu'il s'efforcerait de se concentrer tous les jours, plusieurs heures par jour, dans son coeur afin de développer cet amour igné radiant et divin dont parlait le parchemin... « Pour moi ce n'est pas du n'importe quoi, déclara l'ermite aux trois princes de la théologie. Je sais à présent que réaliser Dieu signifie éveiller ma propre divinité intérieure, et ce parchemin indique clairement comment s'y prendre. » Les théologiens se levèrent pour partir, et sans cacher leur mépris, ils dirent à l'ermite : « Nous reviendrons vous voir dans trois ans, et nous sommes certains que vous n'aurez abouti à rien, car tout cela n'a aucun sens. » « Vous devriez alors abandonner votre ridicule entreprise », ajouta le premier théologien; « Vous devriez alors vous engager à servir l'Église », précisa le second théologien; « Vous devriez alors vous engager à servir l'Humanité », acheva le troisième théologien...
Trois ans plus tard, quand les trois théologiens revinrent, ils trouvèrent l'ermite-aspirant en train de pratiquer la prière ignée dans son coeur. L'ermite leur expliqua qu'il n'avait pas encore réalisé sa divinité intérieure, mais qu'il n'avait pas l'intention d'abandonner sa pratique. « Je continuerai tant que ce corps sera vivant », affirma-t-il, « tout ce que vous pourrez me dire ne pourra jamais me convaincre d'arrêter. De jour en jour je sens un Feu grandir en mon coeur, un Feu de joie et d'amour, et je sais qu'il me faut continuer, encore et encore, persévérer, car c'est ainsi que je réussirai. » Les trois théologiens s'en allèrent, toujours remplis de mépris. Ils revinrent trois années plus tard, pour s'entendre répéter la même chose par l'ermite. Cette fois ils lui expliquèrent : « Si en six ans de ta pratique tu n'as pas réalisé ta divinité intérieure, tu n'y arriveras pas non plus en y ajoutant encore des années et des années, tu perds ton temps, viens avec nous. » Mais l'ermite réaffirma sa détermination absolue. Au bout de la septième année, il atteignit l'Éveil : un Soleil secret s'embrasa dans son coeur, et il sentit nettement sa force solaire, désormais éveillée. Le rayonnement naturel de son Soleil intérieur éveillé l'immergeait dans une joie et une paix éternelles et permanentes, et sa Force solaire éveillée lui permettait de maîtriser la matière-énergie et de transcender les limitations linéaires. Il sut qu'il avait enfin réalisé sa divinité intérieure, il était devenu un Humain-Divin, et il avait une connaissance directe de l'essence de la Réalité...
Il avait trouvé le Bonheur éternel. Il avait trouvé la Libération transcendante aussi. Au bout de la neuvième année, les trois grands théologiens revinrent le voir. L'ermite, à présent un Maître, n'avait rien de spécial vu de l'extérieur. Certes, il avait bonne mine et paraissait en parfaite santé; certes encore, il respirait une joyeuse paix, mais il n'y avait rien qui puisse le distinguer d'emblée du reste des êtres humains. Quand les trois théologiens entrèrent dans la grotte, l'ermite se trouvait tranquillement assis, comme à son habitude. Rien ne paraissait avoir changé ici, mais l'ermite n'arborait plus cette farouche détermination sur son visage, il semblait serein et détendu... « Alors cher ami, dirent en choeur les trois théologiens, où en est ta chimère ? » L'ermite éclata d'un rire cristallin, amusé par tant d'arrogance suffisante : « J'ai atteint mon but », dit-il sans ambages, « c'est un Maître que vous avez devant vous. » L'ermite se contentait de dire la vérité, mais les trois théologiens crurent qu'il était devenu fou. Sans aucune conviction, ils demandèrent à l'ermite de leur fournir la preuve théologique de ce qu'il avançait. « Il n'y a pas de preuve théologique, répondit l'ermite, mais je peux vous fournir une preuve objective. Alors quelle preuve désirez-vous ? »
Les trois théologiens voulaient demander à l'ermite de reproduire quelques miracles de la Bible. Pour des raisons théologiques profondes, ils ne pouvaient demander à l'ermite de reproduire les miracles du Christ. Le prophète Moïse paraissait être le premier prophète que Dieu avait investi de la mission spécifique de faire des miracles, ces miracles étaient donc divinement autorisés et confiés à l'exécution d'un être humain. Le Christ était Dieu en personne, pensaient-ils, et essayer de reproduire ses miracles signifiait certainement défier Dieu...
Le premier théologien réfléchit, et au bout d'une heure il dit : « Si tu sépares en deux les eaux de la méditerranée, comme Moïse le fit pour les eaux de la mer rouge, alors je saurais que tu as vraiment réalisé ta divinité intérieure. » Ils sortirent tous les quatre et s'avancèrent devant la méditerranée, et le Maître étendit les mains sur les eaux. Les eaux se séparèrent en deux, doucement, laissant paraître le fond sec de la mer en un tronçon large de quelque deux mètres... À la différence de l'épisode de Moïse, il n'y avait pas de vent impétueux et les eaux ne formaient pas deux grands murs rugissants. Les eaux s'étaient simplement divisées, sans gêner et perturber la condition du reste de la mer. Comme il n'y avait pas beaucoup d'activité marine en cette période, et comme la séparation des eaux ne dura que quelques minutes, personne d'autre ne remarqua le phénomène. Les trois théologiens avaient eu le temps de marcher un peu sur le sec, entre les eaux, pour bien s'assurer qu'ils ne rêvaient pas. Le Maître souligna à l'attention du premier théologien : « Moïse n'a jamais vraiment séparé les eaux en deux, c'était une puissante équipe d'Êtres extra-physiques qui avait accompli l'opération à travers lui. »
Le second théologien réfléchit, et au bout d'une heure il dit : « Si tu fais pleuvoir de la manne, comme Moïse le fit jadis, alors je saurais que tu as vraiment réalisé ta divinité intérieure. » Ils se tinrent tous les quatre devant la grotte, et le Maître étendit les mains vers le ciel. Des flocons de manne se mirent à tomber, jusqu'à recouvrir le sol sur une épaisseur de cinq centimètres... À la différence de l'épisode de Moïse, cette manne se conservait comme un fruit sec, au lieu de se volatiliser au bout d'une journée, ce que le théologien pu vérifier plus tard. La manne avait un goût exquis, un peu fruité, et elle fondait sur la langue d'une manière extraordinaire, presque pétillante. C'est en silence que les trois théologiens mangèrent la manne, plus que jamais perplexe. Le Maître expliqua : « Moïse n'a jamais vraiment fait pleuvoir de la manne céleste, c'était la même puissante équipe d'Êtres extra-physiques qui avait accompli l'opération par son intermédiaire. » Mais les théologiens ne comprenaient pas grand-chose à ce genre d'explication, d'autant plus que les actes de puissance décrits dans la Bible étaient pour eux des symboles allégoriques et non des faits concrets.
Le troisième théologien réfléchit, et au bout d'une heure il dit : « Si tu ouvres la terre et nous engloutis en un instant, comme Moïse le fit avec les hébreux qui fomentaient un mauvais coup contre lui, alors je saurais que tu as vraiment réalisé ta divinité intérieure. » Le Maître ouvrit la terre et fit engloutir les trois théologiens, qui sombrèrent dans des cris de frayeur. Au bout de quelques heures, le Maître rouvrit la terre et ressuscita les trois théologiens. Lorsqu'ils revinrent à la vie, ils s'inclinèrent humblement devant le Maître et reconnurent solennellement son Éveil à la divinité. Mais le Maître leur expliqua : « Laissez-moi vous montrer à présent la preuve simple et directe qu'il fallait exiger », et à ces mots il disparut en un instant devant leurs yeux, puis réapparut derrière eux. « Vaincre à volonté la vibration de la densité, voilà le signe direct et simple de la véritable réalisation de la divinité intérieure, c'est ce signe que le Maître Jésus a donné en dernier lieu avant de partir, en apparaissant dans la chambre haute où étaient rassemblés les apôtres, et en disparaissant de la même façon. » Les trois théologiens étaient sans voix.
Le Maître matérialisa le parchemin qui avait été déchiré des années auparavant et le tendit au plus grand théologien en disant : « Ce parchemin décrit la manière de réaliser la divinité intérieure, il dévoile le plus grand secret de l'être humain. Je vous conseille, si vous aussi désirez réaliser votre divinité, d'en appliquer l'enseignement. Je vous conseille aussi de le faire connaître au monde, car ce secret ne doit pas rester aux mains de quelques-uns seulement. » À ces mots, le Maître disparut dans un éclat de lumière. Les théologiens se regardèrent et se mirent à débattre. Etait-il théologiquement bon de vouloir réaliser Dieu ? Cela n'était-il pas une tentation luciférienne, une façon de reproduire l'évènement du fruit défendu ? Est-ce que la Bible condamnait la quête de la réalisation de Dieu ? La démarche de l'ermite n'était-elle pas un blasphème et un péché d'orgueil à la face du Seigneur ? Peut-être que l'ermite était mort, peut-être était-ce le Diable qui venait de les abuser... Ainsi de suite... Les théologiens se perdirent dans les méandres de la théologie, et finirent par conclure, dans ce qu'ils prirent pour un éclair de lucidité, une illumination intellectuelle, que c'était le Diable qui venait de les tromper, et que rechercher la réalisation de Dieu était théologiquement mauvais. Le parchemin fut déchiré, l'ermite fut oublié, et ils affirmèrent qu'ils venaient d'expérimenter l'une des nombreuses illusions du Diable, ce qui redoubla leur foi théologique.
Dans ce foisonnement d'interprétations théologiques, d'émulsions dogmatiques et d'articles naissants de foi, se formaient des communautés, parfois monastiques, qui essayaient de mettre en oeuvre l'exigence de charité et la nécessité de pauvreté, choses qui paraissaient devoir découler naturellement des enseignements contenus dans les évangiles. Quelques ermites se retiraient des agglomérations humaines et se livraient, dans quelques ermitages en bordure de désert, en pleine forêt ou sur quelque montagne, à une vie ascétique de mutisme, de supplication, de privation, de gymnastique et de mortification, étudiant parfois, quand il arrivait qu'ils sachent lire, les Écritures... Les grands théologiens étaient grands parce qu'ils écrivaient beaucoup de gros livres de théologie et développaient un discours complexe qui ne paraissait compréhensible qu'au prix de nombreux tours et détours intellectuels. Les gros volumes de théologie formaient progressivement un matériau d'enseignement sophistiqué qui devait servir de base à la poursuite des spéculations théologiques, et ainsi de suite... Il s'était déjà formé un enseignement théologique devenu obligatoire si l'on voulait devenir un être humain de foi, et encore plus un être humain d'église...
C'est dans cette atmosphère intellectuelle qu'un aspirant spirituel qui ne savait pas lire se retira dans une grotte à flanc de colline, non loin de la méditerranée, quelque part en Grèce. Il se nourrissait de baies et de fruits sauvages, de certaines herbes comestibles et d'écorces d'arbres. Il faut peut-être préciser qu'il s'adonna à ce régime spécial de manière très progressive, son organisme s'adapta doucement au prix d'un gros effort. Il ne voulait pas dépendre de l'aumône et ne désirait pas dépenser son temps à cultiver un champ et à traire une vache, aussi demandait-il directement à la nature de lui fournir de quoi subsister... Son plus grand désir était de réaliser Dieu, et chaque jour il réfléchissait à la manière de s'y prendre. « Comment réaliser Dieu ? » se demandait-il sans cesse. Il sentait en son coeur que les systèmes théologiques étaient bien incapables de lui apporter une réponse pertinentes, les grands théologiens eux-mêmes ne paraissaient pas vraiment avoir réalisé Dieu, peut-être ne le désiraient-ils pas... Nombreux étaient ceux qui disaient avoir trouvé la foi, et nombreux encore étaient ceux qui disaient avoir trouvé le Salut en la personne du Maître Jésus, d'autres encore attendaient le jour du jugement dernier, l'avènement triomphal du Christ dans les cieux éclatants... Pourtant, malgré ces grandes espérances et ces grandes certitudes de Salut, notre aspirant ne songeait qu'à réaliser Dieu, ce qui signifiait pour lui être comme Jésus, en termes de puissance et de qualité, et non en termes d'histoire linéaire et de figure doctrinale.
Ayant entendu qu'il y avait un ermite qui voulait réaliser Dieu, les trois plus grands théologiens de l'époque vinrent rendre visite à l'ermite-aspirant afin de le convaincre de l'absurdité de son entreprise. Le premier théologien lui expliqua : « La réalisation de Dieu n'a aucun sens, nul être humain ne peut connaître Dieu », ce à quoi l'ermite répondit par un silencieux sourire. Ce théologien précisa, afin de nuancer son affirmation qui paraissait absolue : « Néanmoins tous les êtres humains verront Dieu au jour du jugement dernier, lorsque notre Seigneur descendra sur Terre pour y établir son règne, telle est la Vérité; il serait donc sage que tu abandonnes ta quête, car tu ne saurais hâter ce grand jour », mais l'ermite ne sut répondre que par le même sourire silencieux. Le second théologien lui expliqua : « Réaliser Dieu c'est servir l'Église, tout être humain converti au christianisme doit servir l'Église », ce à quoi l'ermite répondit par un paisible sourire. Ce théologien précisa, afin d'étoffer son affirmation qui paraissait intransigeante : « L'Église est le corps de Dieu sur Terre, et Dieu réside dans l'Église, aussi tout bon chrétien devrait savoir qu'on ne trouve Dieu qu'au sein de l'Église, et qu'on ne plait à Dieu qu'en servant l'Église », mais l'ermite ne sut répondre que par le même sourire paisible. Le troisième théologien lui expliqua : « Réaliser Dieu c'est servir l'Humanité, tout être humain intelligent devrait servir l'Humanité s'il désire trouver Dieu », mais l'ermite ne répondit que par un discret sourire... Les théologiens ne paraissaient pas avoir compris ce qu'il voulait, et dans sa candeur il se contenta de préciser à nouveau ce qu'il désirait : « Je veux juste réaliser Dieu. »
L'ermite-aspirant avait trouvé, dans une urne à demi enfouie dans un terrain vague près de sa grotte, un parchemin particulièrement bien conservé. Comme il ne pouvait pas le lire, il le tendit aux théologiens afin qu'ils le lui lisent. Le plus grand des trois théologiens se saisit du parchemin et lut d'une voix monotone, comme lors d'une messe : « Ceci est l'essence de mon enseignement. Il existe au-dedans de votre coeur, au centre de votre poitrine, une Force solaire de la même nature que la Force cosmique à l'origine des Univers. Cette Force solaire est votre divinité intérieure, il faut l'éveiller si vous voulez devenir des Êtres divins, si vous voulez réaliser votre propre divinité. Développez donc au sein de votre coeur l'amour igné radiant et divin, par une intense et profonde Concentration; et au fil des années nourrissez ainsi votre coeur, votre divinité intérieure s'éveillera alors et vous deviendrez pour l'éternité, comme je le suis devenu, un Humain-Divin. Je suis le Maître Jésus. » À ces mots, les trois théologiens s'exclamèrent : « C'est du n'importe quoi ! », puis le meilleur des théologiens déchira le parchemin, plein de sainte colère et de sainte indignation devant ce qui lui paraissait être une totale absurdité. Mais, en entendant l'enseignement du parchemin, l'ermite écarquilla les yeux : il venait de recevoir la réponse claire et simple à sa question. Il s'agissait à présent de mettre cet enseignement en pratique, ce qui signifiait qu'il s'efforcerait de se concentrer tous les jours, plusieurs heures par jour, dans son coeur afin de développer cet amour igné radiant et divin dont parlait le parchemin... « Pour moi ce n'est pas du n'importe quoi, déclara l'ermite aux trois princes de la théologie. Je sais à présent que réaliser Dieu signifie éveiller ma propre divinité intérieure, et ce parchemin indique clairement comment s'y prendre. » Les théologiens se levèrent pour partir, et sans cacher leur mépris, ils dirent à l'ermite : « Nous reviendrons vous voir dans trois ans, et nous sommes certains que vous n'aurez abouti à rien, car tout cela n'a aucun sens. » « Vous devriez alors abandonner votre ridicule entreprise », ajouta le premier théologien; « Vous devriez alors vous engager à servir l'Église », précisa le second théologien; « Vous devriez alors vous engager à servir l'Humanité », acheva le troisième théologien...
Trois ans plus tard, quand les trois théologiens revinrent, ils trouvèrent l'ermite-aspirant en train de pratiquer la prière ignée dans son coeur. L'ermite leur expliqua qu'il n'avait pas encore réalisé sa divinité intérieure, mais qu'il n'avait pas l'intention d'abandonner sa pratique. « Je continuerai tant que ce corps sera vivant », affirma-t-il, « tout ce que vous pourrez me dire ne pourra jamais me convaincre d'arrêter. De jour en jour je sens un Feu grandir en mon coeur, un Feu de joie et d'amour, et je sais qu'il me faut continuer, encore et encore, persévérer, car c'est ainsi que je réussirai. » Les trois théologiens s'en allèrent, toujours remplis de mépris. Ils revinrent trois années plus tard, pour s'entendre répéter la même chose par l'ermite. Cette fois ils lui expliquèrent : « Si en six ans de ta pratique tu n'as pas réalisé ta divinité intérieure, tu n'y arriveras pas non plus en y ajoutant encore des années et des années, tu perds ton temps, viens avec nous. » Mais l'ermite réaffirma sa détermination absolue. Au bout de la septième année, il atteignit l'Éveil : un Soleil secret s'embrasa dans son coeur, et il sentit nettement sa force solaire, désormais éveillée. Le rayonnement naturel de son Soleil intérieur éveillé l'immergeait dans une joie et une paix éternelles et permanentes, et sa Force solaire éveillée lui permettait de maîtriser la matière-énergie et de transcender les limitations linéaires. Il sut qu'il avait enfin réalisé sa divinité intérieure, il était devenu un Humain-Divin, et il avait une connaissance directe de l'essence de la Réalité...
Il avait trouvé le Bonheur éternel. Il avait trouvé la Libération transcendante aussi. Au bout de la neuvième année, les trois grands théologiens revinrent le voir. L'ermite, à présent un Maître, n'avait rien de spécial vu de l'extérieur. Certes, il avait bonne mine et paraissait en parfaite santé; certes encore, il respirait une joyeuse paix, mais il n'y avait rien qui puisse le distinguer d'emblée du reste des êtres humains. Quand les trois théologiens entrèrent dans la grotte, l'ermite se trouvait tranquillement assis, comme à son habitude. Rien ne paraissait avoir changé ici, mais l'ermite n'arborait plus cette farouche détermination sur son visage, il semblait serein et détendu... « Alors cher ami, dirent en choeur les trois théologiens, où en est ta chimère ? » L'ermite éclata d'un rire cristallin, amusé par tant d'arrogance suffisante : « J'ai atteint mon but », dit-il sans ambages, « c'est un Maître que vous avez devant vous. » L'ermite se contentait de dire la vérité, mais les trois théologiens crurent qu'il était devenu fou. Sans aucune conviction, ils demandèrent à l'ermite de leur fournir la preuve théologique de ce qu'il avançait. « Il n'y a pas de preuve théologique, répondit l'ermite, mais je peux vous fournir une preuve objective. Alors quelle preuve désirez-vous ? »
Les trois théologiens voulaient demander à l'ermite de reproduire quelques miracles de la Bible. Pour des raisons théologiques profondes, ils ne pouvaient demander à l'ermite de reproduire les miracles du Christ. Le prophète Moïse paraissait être le premier prophète que Dieu avait investi de la mission spécifique de faire des miracles, ces miracles étaient donc divinement autorisés et confiés à l'exécution d'un être humain. Le Christ était Dieu en personne, pensaient-ils, et essayer de reproduire ses miracles signifiait certainement défier Dieu...
Le premier théologien réfléchit, et au bout d'une heure il dit : « Si tu sépares en deux les eaux de la méditerranée, comme Moïse le fit pour les eaux de la mer rouge, alors je saurais que tu as vraiment réalisé ta divinité intérieure. » Ils sortirent tous les quatre et s'avancèrent devant la méditerranée, et le Maître étendit les mains sur les eaux. Les eaux se séparèrent en deux, doucement, laissant paraître le fond sec de la mer en un tronçon large de quelque deux mètres... À la différence de l'épisode de Moïse, il n'y avait pas de vent impétueux et les eaux ne formaient pas deux grands murs rugissants. Les eaux s'étaient simplement divisées, sans gêner et perturber la condition du reste de la mer. Comme il n'y avait pas beaucoup d'activité marine en cette période, et comme la séparation des eaux ne dura que quelques minutes, personne d'autre ne remarqua le phénomène. Les trois théologiens avaient eu le temps de marcher un peu sur le sec, entre les eaux, pour bien s'assurer qu'ils ne rêvaient pas. Le Maître souligna à l'attention du premier théologien : « Moïse n'a jamais vraiment séparé les eaux en deux, c'était une puissante équipe d'Êtres extra-physiques qui avait accompli l'opération à travers lui. »
Le second théologien réfléchit, et au bout d'une heure il dit : « Si tu fais pleuvoir de la manne, comme Moïse le fit jadis, alors je saurais que tu as vraiment réalisé ta divinité intérieure. » Ils se tinrent tous les quatre devant la grotte, et le Maître étendit les mains vers le ciel. Des flocons de manne se mirent à tomber, jusqu'à recouvrir le sol sur une épaisseur de cinq centimètres... À la différence de l'épisode de Moïse, cette manne se conservait comme un fruit sec, au lieu de se volatiliser au bout d'une journée, ce que le théologien pu vérifier plus tard. La manne avait un goût exquis, un peu fruité, et elle fondait sur la langue d'une manière extraordinaire, presque pétillante. C'est en silence que les trois théologiens mangèrent la manne, plus que jamais perplexe. Le Maître expliqua : « Moïse n'a jamais vraiment fait pleuvoir de la manne céleste, c'était la même puissante équipe d'Êtres extra-physiques qui avait accompli l'opération par son intermédiaire. » Mais les théologiens ne comprenaient pas grand-chose à ce genre d'explication, d'autant plus que les actes de puissance décrits dans la Bible étaient pour eux des symboles allégoriques et non des faits concrets.
Le troisième théologien réfléchit, et au bout d'une heure il dit : « Si tu ouvres la terre et nous engloutis en un instant, comme Moïse le fit avec les hébreux qui fomentaient un mauvais coup contre lui, alors je saurais que tu as vraiment réalisé ta divinité intérieure. » Le Maître ouvrit la terre et fit engloutir les trois théologiens, qui sombrèrent dans des cris de frayeur. Au bout de quelques heures, le Maître rouvrit la terre et ressuscita les trois théologiens. Lorsqu'ils revinrent à la vie, ils s'inclinèrent humblement devant le Maître et reconnurent solennellement son Éveil à la divinité. Mais le Maître leur expliqua : « Laissez-moi vous montrer à présent la preuve simple et directe qu'il fallait exiger », et à ces mots il disparut en un instant devant leurs yeux, puis réapparut derrière eux. « Vaincre à volonté la vibration de la densité, voilà le signe direct et simple de la véritable réalisation de la divinité intérieure, c'est ce signe que le Maître Jésus a donné en dernier lieu avant de partir, en apparaissant dans la chambre haute où étaient rassemblés les apôtres, et en disparaissant de la même façon. » Les trois théologiens étaient sans voix.
Le Maître matérialisa le parchemin qui avait été déchiré des années auparavant et le tendit au plus grand théologien en disant : « Ce parchemin décrit la manière de réaliser la divinité intérieure, il dévoile le plus grand secret de l'être humain. Je vous conseille, si vous aussi désirez réaliser votre divinité, d'en appliquer l'enseignement. Je vous conseille aussi de le faire connaître au monde, car ce secret ne doit pas rester aux mains de quelques-uns seulement. » À ces mots, le Maître disparut dans un éclat de lumière. Les théologiens se regardèrent et se mirent à débattre. Etait-il théologiquement bon de vouloir réaliser Dieu ? Cela n'était-il pas une tentation luciférienne, une façon de reproduire l'évènement du fruit défendu ? Est-ce que la Bible condamnait la quête de la réalisation de Dieu ? La démarche de l'ermite n'était-elle pas un blasphème et un péché d'orgueil à la face du Seigneur ? Peut-être que l'ermite était mort, peut-être était-ce le Diable qui venait de les abuser... Ainsi de suite... Les théologiens se perdirent dans les méandres de la théologie, et finirent par conclure, dans ce qu'ils prirent pour un éclair de lucidité, une illumination intellectuelle, que c'était le Diable qui venait de les tromper, et que rechercher la réalisation de Dieu était théologiquement mauvais. Le parchemin fut déchiré, l'ermite fut oublié, et ils affirmèrent qu'ils venaient d'expérimenter l'une des nombreuses illusions du Diable, ce qui redoubla leur foi théologique.