Jésus avait maintenant sept ans, l'âge auquel les enfants juifs sont censés commencer officiellement leur éducation dans les écoles de la synagogue. En conséquence, il débuta en août de cette année-là dans sa vie mouvementée d'écolier à Nazareth. Déjà, le garçon lisait, écrivait et parlait couramment deux langues, l'araméen et le grec. Il lui fallait maintenant se familiariser avec la tâche d'apprendre à lire, écrire et parler la langue hébraïque. Il envisageait réellement avec grand intérêt la nouvelle vie scolaire qui s'ouvrait devant lui.
Pendant trois ans – jusqu'à ce qu'il eût dix ans – il fréquenta l'école primaire de la synagogue de Nazareth. Durant ces trois années, il étudia les rudiments du Livre de la Loi tel qu'il était rédigé en langue hébraïque. Durant les trois années suivantes, il étudia à l'école supérieure et mémorisa, par la méthode de répétition à haute voix, les enseignements les plus profonds de la loi sacrée. Il reçut son diplôme de l'école de la synagogue au cours de sa treizième année et fut rendu à ses parents par les chefs de la synagogue comme “ fils du commandement ” éduqué – désormais citoyen responsable de la communauté d'Israël, ce qui lui imposait d'assister à la Pâque à Jérusalem; en conséquence, il participa, cette année-là, à sa première Pâque en compagnie de son père et de sa mère.
A Nazareth, les élèves s'asseyaient en demi-cercle sur le sol tandis que leur professeur, le chazan, un préposé de la synagogue, était assis leur faisant face. Commençant par le Livre du Lévitique, ils passaient à l'étude des autres livres de la Loi, suivie par celle des Prophètes et des Psaumes. La synagogue de Nazareth possédait un exemplaire complet des Écritures en hébreu. Avant l'âge de douze ans, on n'étudiait rien d'autre que les Écritures. Pendant les mois d'été, les heures de classe étaient très écourtées.
Jésus devint de bonne heure un maitre en hébreu. En tant que jeune être humain, quand aucun visiteur de marque ne séjournait à Nazareth, on lui demandait souvent de lire les Écritures hébraïques aux fidèles assemblés à la synagogue pour les services religieux réguliers du sabbat.
Bien entendu, les écoles de la synagogue n'avaient pas de manuels. Pour enseigner, le chazan formulait un exposé que les élèves répétaient à l'unisson après lui. Quand ils avaient accès aux livres écrits de la Loi, les étudiants apprenaient leurs leçons en lisant à haute voix et en répétant constamment.
En plus de son éducation officielle, Jésus commença à prendre contact avec la nature humaine des quatre parties du monde, du fait que des êtres humains de nombreux pays allaient et venaient dans l'atelier de réparation de son père. En grandissant, il se mêla librement aux caravanes qui faisaient halte près de la fontaine pour se reposer et se restaurer. Parlant couramment le grec, il n'avait guère de difficulté à converser avec la majorité des voyageurs et conducteurs de caravanes.
Nazareth était une étape sur le chemin des caravanes et un carrefour de voyages. La ville était largement peuplée de Gentils et en même temps bien connue comme centre où l'on interprétait libéralement la loi juive traditionnelle. En Galilée, les Juifs se mêlaient aux Gentils plus franchement qu'il n'était d'usage en Judée. Parmi toutes les villes de Galilée, c'est à Nazareth que les Juifs étaient les plus libéraux dans leur interprétation des restrictions sociales basées sur les craintes de contagion résultant du contact avec les Gentils. Ces conditions avaient donné naissance à une maxime courante à Jérusalem : “ Quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth ? ”
Jésus reçut sa formation morale et sa culture spirituelle principalement à son propre foyer. Il acquit du chazan beaucoup de son éducation intellectuelle et théologique. Quant à son éducation réelle – l'équipement du mental et du coeur pour l'épreuve effective de s'attaquer aux difficiles problèmes de la vie – il l'obtint en se mêlant à ses semblables. Ce fut cette étroite association avec ses compagnons jeunes et vieux, Juifs et Gentils, qui lui fournit l'occasion de connaître la race humaine. Jésus était hautement éduqué, en ce sens qu'il comprenait complètement les êtres humains et les aimait avec dévotion.
Durant toutes ses années à la synagogue, il fut un étudiant brillant, possédant un grand avantage du fait qu'il connaissait bien trois langues. À l'occasion de la fin des cours de Jésus à l'école, le chazan de Nazareth fit remarquer à Joseph qu'il craignait “ d'avoir appris plus de choses par les questions pénétrantes de Jésus que lui n'avait été capable d'en enseigner au jeune garçon ”.
Pendant tout le cours de ses études, Jésus apprit beaucoup et tira une grande inspiration des sermons réguliers du sabbat à la synagogue. Il était d'usage de demander aux visiteurs de marque, s'arrêtant à Nazareth durant le sabbat, de prendre la parole à la synagogue. En grandissant, Jésus entendit beaucoup de grands penseurs du monde Juif tout entier exposer leurs points de vue, et aussi beaucoup de Juifs peu orthodoxes, car la synagogue de Nazareth était un centre avancé et libéral de la pensée et de la culture hébraïques.
En entrant à l'école à sept ans (à cette époque, les Juifs venaient juste de mettre en vigueur une loi sur l'instruction obligatoire), il était d'usage pour les élèves de choisir leur “ texte d'anniversaire ”, une sorte de règle d'or pour les guider pendant toutes leurs études, et sur lequel ils avaient souvent à disserter lors de leur examen à l'âge de treize ans. Le texte que Jésus avait choisi était tiré du prophète Isaïe : “ L'esprit du Seigneur Dieu est sur moi, parce que le Seigneur m'a oint; il m'a envoyé pour porter la bonne nouvelle aux débonnaires, pour consoler les affligés, pour proclamer la liberté aux captifs et pour libérer les prisonniers spirituels. ”
Nazareth était l'un des vingt-quatre centres de prêtrise de la nation hébraïque. Le clergé de Galilée était plus libéral que les scribes et les rabbins de Judée dans l'interprétation des lois traditionnelles. Et, à Nazareth, on était également plus libéral en ce qui concernait l'observance du sabbat; c'est pourquoi Joseph avait coutume d'emmener Jésus en promenade les après-midi de sabbat. Une de leurs excursions favorites consistait à grimper sur la haute colline voisine de leur maison, d'où ils avaient une vue panoramique sur toute la Galilée. Au nord-ouest, par temps clair, on voyait la longue crète du mont Carmel descendant vers la mer. Jésus entendit maintes fois son père raconter l'histoire d'Élie, l'un des premiers de la longue lignée des prophètes hébreux, qui blâma Achab et démasqua les prêtres de Baal. Au nord, le mont Hermon élevait son pic neigeux dans une splendeur majestueuse et monopolisait la ligne d'horizon; sur presque mille mètres, ses pentes supérieures étincelaient de la blancheur des neiges éternelles. Au loin, à l'orient, on discernait la vallée du Jourdain et, beaucoup plus loin, les collines rocheuses de Moab. Egalement au sud et à l'est, quand le soleil en éclairait les murs de marbre, on apercevait les villes gréco-romaines de la Décapole avec leurs amphithéâtres et leurs temples prétentieux. Et, quand ils s'attardaient au coucher du soleil, ils pouvaient distinguer, à l'ouest, les bateaux à voiles au loin sur la Méditerranée.
Jésus pouvait observer les convois de caravanes qui poursuivaient leur route dans quatre directions, entrant et sortant de Nazareth; au sud, il pouvait voir le large et fertile pays de plaine d'Esdraélon s'étendant vers le mont Gilboa et la Samarie.
Quand ils n'escaladaient pas les hauteurs pour regarder le paysage lointain, ils se promenaient à travers la campagne et étudiaient la nature sous ses divers aspects selon les saisons. La plus précoce éducation de Jésus, à part celle du foyer familial, avait consisté à prendre, avec la nature, un contact respectueux et sympathique.
Avant qu'il eût huit ans, il était connu de toutes les mères de famille et jeunes femmes de Nazareth; elles l'avaient rencontré et avaient causé avec lui à la fontaine proche de chez lui, qui était l'un des centres sociaux de rencontre et de commérage de la ville entière. Cette année-là, Jésus apprit à traire la vache de la famille et à prendre soin des autres animaux. Pendant cette année et l'année suivante, il apprit aussi à faire du fromage et à tisser. Quand il eut dix ans, il était un habile tisserand. C'est vers cette époque que Jésus et son petit voisin Jacob devinrent de grands amis du potier Nathan, qui travaillait près de la source jaillissante; tandis qu'ils observaient ses droits agiles moulant l'argile sur le tour, tous deux songèrent bien des fois à devenir potiers quand ils seraient grands. Nathan avait beaucoup d'affection pour les deux garçons et leur donnait souvent de la terre glaise pour jouer; il s'efforçait de stimuler leur imagination créatrice en leur suggérant de rivaliser dans le modelage d'objets et d'animaux divers.
Sa huitième année fut une année intéressante d'école. Bien que Jésus ne fût pas un étudiant extraordinaire, il était un élève appliqué et se classait dans le premier tiers de sa classe; il faisait si bien son travail qu'il était dispensé de présence une semaine par mois. Il passait généralement cette semaine soit avec son oncle pêcheur sur les bords de la mer de Galilée, près de Magdala, soit à la ferme d'un autre de ses oncles (le frère de sa mère) à huit kilomètres au sud de Nazareth.
Bien que sa mère soit devenue exagérément soucieuse de sa santé et de sa sécurité, elle s'habituait peu à peu à ces séjours hors de la maison. Les oncles et les tantes de Jésus l'aimaient beaucoup; il s'ensuivit parmi eux, au cours de cette année et des quelques années suivantes, une vive compétition pour s'assurer sa compagnie durant les visites mensuelles. La première fois (depuis sa petite enfance) qu'il séjourna une semaine dans la ferme de son oncle fut en janvier de cette année-là; sa première semaine d'expérience de pêche sur la mer de Galilée eut lieu au mois de mai.
A cette époque, Jésus rencontra un professeur de mathématiques de Damas et, après avoir appris quelques nouvelles techniques arithmétiques, il consacra beaucoup de temps aux mathématiques pendant plusieurs années. Il acquit un sens aigu des nombres, des distances et des proportions.
Jésus commença à beaucoup apprécier son frère Jacques. À la fin de l'année, il avait commencé à lui apprendre l'alphabet.
Cette année-là, Jésus fit des arrangements pour échanger des produits laitiers contre des leçons de harpe. Il avait un gout exceptionnel pour tout ce qui était musical. Plus tard, il contribua beaucoup à encourager la musique vocale parmi ses jeunes camarades. Quand il eut onze ans, il était un harpiste habile et prenait grand plaisir à faire entendre à sa famille et à ses amis ses extraordinaires interprétations et ses belles improvisations.
Tandis que Jésus faisait des progrès remarquables à l'école, tout n'allait pas sans encombre pour ses parents et pour ses maitres. Il persistait à poser quantité de questions embarrassantes concernant à la fois la science et la religion, particulièrement en géographie et en astronomie. Il insistait spécialement pour savoir pourquoi il y avait une saison sèche et une saison des pluies en Palestine. Maintes et maintes fois, il chercha l'explication de la grande différence entre les températures de Nazareth et celles de la vallée du Jourdain. Il ne cessait pour ainsi dire jamais de poser des questions de ce genre, intelligentes, mais embarrassantes.
Son troisième frère Simon naquit le vendredi soir 14 avril de cette année, l'an 2 de l'ère chrétienne.
En février, Nahor, professeur dans une académie rabbinique de Jérusalem, vint à Nazareth pour observer Jésus après avoir accompli une mission similaire chez Zacharie près de Jérusalem. Il vint à Nazareth à l'instigation du père de Jean. Au premier abord, il fut quelque peu choqué par la franchise de Jésus et sa manière peu classique de s'associer aux choses religieuses. Il l'attribua au fait que la Galilée était éloignée des centres hébreux d'instruction et de culture, et conseilla à Joseph et à Marie de lui permettre d'emmener Jésus à Jérusalem où il pourrait bénéficier des avantages de l'éducation et de l'instruction au centre de la culture juive. Marie était à moitié prête à consentir; elle était convaincue que son fils ainé allait devenir le Messie, le libérateur des Juifs. Joseph hésitait; il était également persuadé qu'en grandissant Jésus deviendrait un être humain de la destinée, mais il était profondément incertain de ce que serait cette destinée. Il ne douta cependant jamais réellement que son fils dût remplir quelque grande mission sur terre. Plus il pensait à l'avis de Nahor, plus il doutait de la sagesse de cette proposition de séjour à Jérusalem.
A cause de cette divergence d'opinion entre Joseph et Marie, Nahor demanda la permission de soumettre toute l'affaire à Jésus. Jésus l'écouta attentivement et en parla à Joseph, à Marie et à un voisin, Jacob le maçon, dont le fils était son camarade de jeu favori. Deux jours plus tard, Jésus exposa qu'il existait une grande divergence d'opinions entre ses parents et ses conseillers, et qu'il ne s'estimait pas qualifié pour prendre la responsabilité d'une telle décision, car il ne se sentait fortement poussé ni dans un sens ni dans l'autre. Dans ces conditions, il avait finalement décidé de “ parler à mon Père qui est au cieux ”. Bien qu'il ne fût pas parfaitement sûr de la réponse, il sentait qu'il devait plutôt rester à la maison “ avec mon père et ma mère ”. Il ajouta : “ Eux qui m'aiment tellement doivent être capables de faire plus pour moi et de me guider plus sûrement que des étrangers qui peuvent seulement voir mon corps et observer mes pensées, mais ne peuvent guère me connaître vraiment. ” Ils furent tous émerveillés, et Nahor s'en retourna à Jérusalem. Et il se passa bien des années avant que fût prise en considération l'idée que Jésus pourrait quitter son foyer.
On ne saurait dire que Jésus ait jamais été sérieusement malade, mais il contracta, dans sa neuvième année, de petites maladies d'enfance en même temps que ses frères et sa petite soeur.
Les classes continuaient; Jésus était toujours un élève estimé, ayant chaque mois une semaine de liberté, et il continuait à diviser ce temps à peu près également entre les excursions avec son père dans les villes avoisinantes, les séjours à la ferme de son oncle au sud de Nazareth et les parties de pêche au large de Magdala.
Le plus grave incident survenu jusque-là, à l'école, se produisit tard dans l'hiver lorsque Jésus osa défier le chazan, qui enseignait que les images, peintures et dessins étaient tous de nature idolâtre. Jésus avait autant de plaisir à dessiner les paysages qu'à modeler une grande variété d'objets en argile de potier. Tout ce genre de choses était strictement interdit par la loi juive, mais, jusque-là, Jésus était parvenu à surmonter les objections de ses parents, à tel point qu'ils lui avaient permis de poursuivre ces activités.
Il se produisit de nouveaux remous à l'école quand l'un des élèves les plus arriérés découvrit Jésus en train de dessiner, au fusain, un portrait du professeur sur le plancher de la classe. Le portrait était là, clair comme le jour, et plusieurs parmi les anciens l'avaient aperçu avant que le comité n'allât trouver Joseph pour exiger une intervention pour ramener son fils ainé dans le respect de la loi. Bien que ce ne fut pas la première plainte parvenue à Joseph et à Marie concernant les agissements de leur dynamique enfant aux talents variés, c'était la plus sérieuse de toutes les accusations portées, jusque-là, contre lui. Assis sur une grosse pierre, juste à l'extérieur de la porte de derrière, Jésus écouta pendant un moment la condamnation de ses efforts artistiques. Il s'irrita de voir blâmer son père pour ses prétendus méfaits; il s'avança donc intrépidement jusqu'à ses accusateurs. Les anciens furent plongés dans l'embarras. Quelques-uns furent enclins à prendre l'affaire avec humour, tandis qu'un ou deux autres semblaient penser que le garçon était sacrilège, voire blasphémateur. Joseph était désemparé et Marie indignée, mais Jésus insista pour être entendu. Il eut le droit de parler; il défendit courageusement son point de vue et, avec une maitrise de soi consommée, il annonça qu'il se conformerait à la décision de son père, en cela comme dans tous les autres cas prêtant à discussion. Sur quoi le comité des anciens partit en silence.
Marie fit pression sur Joseph pour permettre à Jésus de modeler de l'argile à la maison, pourvu qu'il promette de ne poursuivre, à l'école, aucune de ces activités contestables, mais Joseph était porté à poser en règle que l'interprétation rabbinique du second commandement devait prévaloir. En conséquence, Jésus ne dessina ni ne modela plus jamais une forme quelconque tant qu'il vécut chez son père. Pourtant, il ne fut pas convaincu d'avoir mal agi; mais l'abandon de son passe-temps favori fut l'une des grandes épreuves de sa jeunesse.
A la fin de juin, Jésus en compagnie de son père grimpa, pour la première fois, au sommet du mont Thabor. Le temps était clair et la vue superbe. Ce jeune garçon de neuf ans eut l'impression d'avoir réellement contemplé le monde entier, excepté l'Inde, l'Afrique et Rome.
Marthe, la deuxième soeur de Jésus, naquit la nuit du jeudi 13 septembre. Trois semaines après la naissance de Marthe, Joseph, qui était au foyer pour quelque temps, commença la construction d'un agrandissement de leur maison, un combiné d'atelier et de chambre à coucher. Un petit établi fut construit pour Jésus qui, pour la première fois, posséda des outils en propre. Pendant plusieurs années, il travailla à cet établi à ses moments perdus et devint très habile dans la fabrication des jougs.
Cet hiver-là et le suivant furent les plus froids à Nazareth depuis plusieurs décennies. Jésus avait vu de la neige sur les montagnes; la neige était tombée plusieurs fois à Nazareth sans rester longtemps sur le sol, mais jamais avant cet hiver Jésus n'avait vu de glace. Le fait que l'eau pouvait être solide, un liquide ou une vapeur – il avait longuement médité sur la vapeur s'échappant des pots d'eau bouillante – donna beaucoup à réfléchir au garçon sur le monde physique et sa constitution, et cependant, pendant tout ce temps, la personnalité incarnée dans cet enfant en pleine croissance était le véritable créateur et organisateur de toutes ces choses à travers tout un vaste univers.
Le climat de Nazareth n'était pas rude. Janvier était le mois le plus froid, avec une température moyenne d'environ 10º C. En juillet et en août, les mois les plus chauds, la température variait entre vingt-quatre et trente-deux degrés. Depuis les montagnes jusqu'au Jourdain et à la vallée de la Mer Morte, le climat de la Palestine s'échelonnait du froid au torride. En un sens, les Juifs étaient donc préparés à vivre à peu près dans n'importe lequel des climats variés du monde.
Même durant les mois d'été les plus chauds, une fraiche brise de mer soufflait habituellement de l'ouest de dix heures du matin à dix heures du soir. Mais, de temps en temps, de terribles vents chauds venant du désert oriental soufflaient sur toute la Palestine. Ces rafales brulantes survenaient généralement en février et mars, vers la fin de la saison des pluies. À cette époque, la pluie tombait de novembre à avril en averses rafraichissantes, mais il ne pleuvait pas d'une façon continue. Il n'y avait que deux saisons en Palestine, l'été et l'hiver, la saison sèche et la saison pluvieuse. En janvier, les fleurs commençaient à s'épanouir et, à la fin d'avril, tout le pays était un vaste jardin fleuri.
En mai de cette année, dans la ferme de son oncle, Jésus aida, pour la première fois, à la moisson des céréales. Avant d'avoir treize ans, il avait réussi à découvrir quelque chose sur pratiquement tous les métiers que les hommes et les femmes pratiquaient autour de Nazareth, à l'exception du travail des métaux, et, plus tard, après la mort de son père, il passa plusieurs mois dans l'atelier d'un forgeron.
Quand le travail et le passage des caravanes se ralentissaient, Jésus faisait avec son père beaucoup de voyages d'agrément ou d'affaires aux villes voisines de Cana, Endor et Naïn. Même étant jeune garçon, il avait fréquemment visité Sepphoris, située seulement à cinq kilomètres au nord-ouest de Nazareth; depuis quatre ans avant l'ère chrétienne jusqu'à l'an 25 environ, cette ville fut la capitale de la Galilée et l'une des résidences d'Hérode Antipas.
Jésus poursuivait son développement physique, intellectuel, social et spirituel. Ses déplacements hors de la maison contribuèrent beaucoup à lui donner une compréhension meilleure et plus généreuse de sa propre famille; à cette époque, ses parents eux-mêmes commencèrent à apprendre de lui en même temps qu'ils l'éduquaient. Même dans sa jeunesse, Jésus était un penseur original et un pédagogue habile. Il était en conflit constant avec la prétendue “ loi orale ”, mais cherchait toujours à s'adapter aux pratiques de sa famille. Il s'entendait assez bien avec les enfants de son âge, mais était souvent découragé par leur lenteur de pensée. Avant d'avoir dix ans, il était devenu le chef d'un groupe de sept garçons qui s'étaient réunis en une société pour acquérir les talents de l'âge mur – physiques, intellectuels et religieux. Jésus réussit à introduire, parmi ces garçons, beaucoup de nouveaux jeux et diverses méthodes améliorées de récréation physique.
Ce fut le 5 juillet, l'année de ses 10 ans, le premier sabbat du mois, tandis que Jésus se promenait dans la campagne avec son père, qu'il exprima des sentiments et des idées dénotant qu'il commençait à prendre conscience de la nature extraordinaire de la mission de sa vie. Joseph écouta attentivement les importantes paroles de son fils, mais fit peu de commentaires et ne donna spontanément aucun renseignement. Le lendemain, Jésus eut avec sa mère un entretien semblable, mais plus long. Marie écouta également les déclarations du garçon, mais elle non plus ne voulut donner aucun renseignement. Il se passa presque deux ans avant que Jésus ne parlât à ses parents des révélations croissantes, dans sa conscience, au sujet de la nature de sa personnalité et du caractère de sa mission terrestre.
Il entra, en août, à l'école supérieure de la synagogue. À l'école, il provoquait constamment des troubles par les questions qu'il persistait à poser. Il maintenait de plus en plus tout Nazareth dans un état de relative effervescence. Ses parents répugnèrent à lui interdire de poser ces questions troublantes; son principal professeur était très intrigué par la curiosité du garçon, sa perspicacité et sa soif de connaissance.
Les compagnons de jeu de Jésus ne voyaient rien de surnaturel dans sa conduite; sous la plupart des rapports, il leur ressemblait entièrement. Son intérêt pour l'étude était quelque peu supérieur à la moyenne, mais pas tout à fait exceptionnel. Il est bien vrai qu'à l'école, il posait plus de questions que ses camarades de classe.
Peut-être son trait le plus original et le plus remarquable était-il sa répugnance à combattre pour défendre ses droits. Puisqu'il était un garçon bien développé pour son âge, ses camarades de jeu trouvaient étrange qu'il fût peu enclin à se défendre, même quand il était en butte à l'injustice ou personnellement maltraité. Quoi qu'il en fût, il ne souffrit pas beaucoup de cette tendance à cause de l'amitié de Jacob, son petit voisin qui était son ainé d'un an. Jacob était le fils du maçon associé aux affaires de Joseph. Il était un grand admirateur de Jésus et faisait son affaire de veiller à ce que personne ne pût en imposer à Jésus en profitant de son aversion pour les bagarres physiques. Plusieurs fois, des jeunes gens plus âgés et brutaux attaquèrent Jésus, tablant sur sa docilité réputée, mais il reçurent toujours un sûr et rapide châtiment des mains de son champion et défenseur volontaire toujours prêt, Jacob le fils du maçon.
Jésus était communément accepté comme chef des garçons de Nazareth qui représentaient l'idéal le plus élevé de leur temps et de leur génération. Son cercle de jeunes l'aimait réellement, non seulement parce qu'il était équitable, mais aussi parce qu'il faisait montre d'une sympathie rare et compréhensive qui révélait l'amour et touchait à la compassion discrète.
Cette année-là, il commença à montrer une préférence marquée pour la compagnie de personnes plus mûres. Il était heureux d'avoir des entretiens sur des sujets culturels, éducatifs, sociaux, économiques, politiques et religieux avec des penseurs plus âgés; la profondeur de ses raisonnements et la finesse de ses observations charmaient tellement ses amis adultes qu'ils étaient toujours empressés à le fréquenter. Avant qu'il ne devienne soutien de famille, ses parents le poussaient constamment à se lier avec des enfants de son âge, ou plus proches de son âge, plutôt qu'avec des personnes plus âgées et plus instruites pour lesquelles il témoignait une telle préférence.
A la fin de cette année-là, il fit, avec son oncle, une expérience de deux mois de pêche sur la mer de Galilée, et réussit très bien. Avant d'atteindre l'âge d'être humain, il était devenu un pêcheur très expérimenté.
Son développement physique se poursuivait; à l'école, il était un élève avancé et privilégié; à la maison, il s'entendait assez bien avec ses frères et soeurs, ayant l'avantage d'être de trois ans et demi l'ainé du plus âgé d'entre eux. Il était bien considéré à Nazareth, sauf par les parents de quelques-uns des enfants plus lents d'esprit, qui parlaient souvent de Jésus comme étant trop effronté, manquant de l'humilité et de la réserve convenant à la jeunesse. Il manifestait une tendance croissante à orienter les jeux de ses jeunes camarades dans des directions plus sérieuses et plus réfléchies. Il était un éducateur né et ne pouvait absolument pas s'empêcher d'exercer cette fonction, même quand il était censé jouer.
Joseph commença de bonne heure à enseigner à Jésus les divers moyens de gagner sa vie, lui expliquant les avantages de l'agriculture sur l'industrie et le commerce. La Galilée était un district plus beau et prospère que la Judée, et la vie ne coutait guère que le quart de ce qu'elle coutait à Jérusalem et en Judée. C'était une province de villages agricoles et de cités industrielles prospères, contenant plus de deux-cents villes de plus de cinq-mille habitants et trente de plus de quinze-mille.
Pendant son premier voyage avec son père pour observer l'industrie de la pêche sur le lac de Galilée, Jésus avait presque décidé de devenir pêcheur; mais son intime association avec le métier de son père l'incita plus tard à devenir charpentier, tandis que, plus tard encore, une combinaison d'influences le conduisit à choisir définitivement la carrière d'éducateur religieux d'un ordre nouveau.
Pendant trois ans – jusqu'à ce qu'il eût dix ans – il fréquenta l'école primaire de la synagogue de Nazareth. Durant ces trois années, il étudia les rudiments du Livre de la Loi tel qu'il était rédigé en langue hébraïque. Durant les trois années suivantes, il étudia à l'école supérieure et mémorisa, par la méthode de répétition à haute voix, les enseignements les plus profonds de la loi sacrée. Il reçut son diplôme de l'école de la synagogue au cours de sa treizième année et fut rendu à ses parents par les chefs de la synagogue comme “ fils du commandement ” éduqué – désormais citoyen responsable de la communauté d'Israël, ce qui lui imposait d'assister à la Pâque à Jérusalem; en conséquence, il participa, cette année-là, à sa première Pâque en compagnie de son père et de sa mère.
A Nazareth, les élèves s'asseyaient en demi-cercle sur le sol tandis que leur professeur, le chazan, un préposé de la synagogue, était assis leur faisant face. Commençant par le Livre du Lévitique, ils passaient à l'étude des autres livres de la Loi, suivie par celle des Prophètes et des Psaumes. La synagogue de Nazareth possédait un exemplaire complet des Écritures en hébreu. Avant l'âge de douze ans, on n'étudiait rien d'autre que les Écritures. Pendant les mois d'été, les heures de classe étaient très écourtées.
Jésus devint de bonne heure un maitre en hébreu. En tant que jeune être humain, quand aucun visiteur de marque ne séjournait à Nazareth, on lui demandait souvent de lire les Écritures hébraïques aux fidèles assemblés à la synagogue pour les services religieux réguliers du sabbat.
Bien entendu, les écoles de la synagogue n'avaient pas de manuels. Pour enseigner, le chazan formulait un exposé que les élèves répétaient à l'unisson après lui. Quand ils avaient accès aux livres écrits de la Loi, les étudiants apprenaient leurs leçons en lisant à haute voix et en répétant constamment.
En plus de son éducation officielle, Jésus commença à prendre contact avec la nature humaine des quatre parties du monde, du fait que des êtres humains de nombreux pays allaient et venaient dans l'atelier de réparation de son père. En grandissant, il se mêla librement aux caravanes qui faisaient halte près de la fontaine pour se reposer et se restaurer. Parlant couramment le grec, il n'avait guère de difficulté à converser avec la majorité des voyageurs et conducteurs de caravanes.
Nazareth était une étape sur le chemin des caravanes et un carrefour de voyages. La ville était largement peuplée de Gentils et en même temps bien connue comme centre où l'on interprétait libéralement la loi juive traditionnelle. En Galilée, les Juifs se mêlaient aux Gentils plus franchement qu'il n'était d'usage en Judée. Parmi toutes les villes de Galilée, c'est à Nazareth que les Juifs étaient les plus libéraux dans leur interprétation des restrictions sociales basées sur les craintes de contagion résultant du contact avec les Gentils. Ces conditions avaient donné naissance à une maxime courante à Jérusalem : “ Quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth ? ”
Jésus reçut sa formation morale et sa culture spirituelle principalement à son propre foyer. Il acquit du chazan beaucoup de son éducation intellectuelle et théologique. Quant à son éducation réelle – l'équipement du mental et du coeur pour l'épreuve effective de s'attaquer aux difficiles problèmes de la vie – il l'obtint en se mêlant à ses semblables. Ce fut cette étroite association avec ses compagnons jeunes et vieux, Juifs et Gentils, qui lui fournit l'occasion de connaître la race humaine. Jésus était hautement éduqué, en ce sens qu'il comprenait complètement les êtres humains et les aimait avec dévotion.
Durant toutes ses années à la synagogue, il fut un étudiant brillant, possédant un grand avantage du fait qu'il connaissait bien trois langues. À l'occasion de la fin des cours de Jésus à l'école, le chazan de Nazareth fit remarquer à Joseph qu'il craignait “ d'avoir appris plus de choses par les questions pénétrantes de Jésus que lui n'avait été capable d'en enseigner au jeune garçon ”.
Pendant tout le cours de ses études, Jésus apprit beaucoup et tira une grande inspiration des sermons réguliers du sabbat à la synagogue. Il était d'usage de demander aux visiteurs de marque, s'arrêtant à Nazareth durant le sabbat, de prendre la parole à la synagogue. En grandissant, Jésus entendit beaucoup de grands penseurs du monde Juif tout entier exposer leurs points de vue, et aussi beaucoup de Juifs peu orthodoxes, car la synagogue de Nazareth était un centre avancé et libéral de la pensée et de la culture hébraïques.
En entrant à l'école à sept ans (à cette époque, les Juifs venaient juste de mettre en vigueur une loi sur l'instruction obligatoire), il était d'usage pour les élèves de choisir leur “ texte d'anniversaire ”, une sorte de règle d'or pour les guider pendant toutes leurs études, et sur lequel ils avaient souvent à disserter lors de leur examen à l'âge de treize ans. Le texte que Jésus avait choisi était tiré du prophète Isaïe : “ L'esprit du Seigneur Dieu est sur moi, parce que le Seigneur m'a oint; il m'a envoyé pour porter la bonne nouvelle aux débonnaires, pour consoler les affligés, pour proclamer la liberté aux captifs et pour libérer les prisonniers spirituels. ”
Nazareth était l'un des vingt-quatre centres de prêtrise de la nation hébraïque. Le clergé de Galilée était plus libéral que les scribes et les rabbins de Judée dans l'interprétation des lois traditionnelles. Et, à Nazareth, on était également plus libéral en ce qui concernait l'observance du sabbat; c'est pourquoi Joseph avait coutume d'emmener Jésus en promenade les après-midi de sabbat. Une de leurs excursions favorites consistait à grimper sur la haute colline voisine de leur maison, d'où ils avaient une vue panoramique sur toute la Galilée. Au nord-ouest, par temps clair, on voyait la longue crète du mont Carmel descendant vers la mer. Jésus entendit maintes fois son père raconter l'histoire d'Élie, l'un des premiers de la longue lignée des prophètes hébreux, qui blâma Achab et démasqua les prêtres de Baal. Au nord, le mont Hermon élevait son pic neigeux dans une splendeur majestueuse et monopolisait la ligne d'horizon; sur presque mille mètres, ses pentes supérieures étincelaient de la blancheur des neiges éternelles. Au loin, à l'orient, on discernait la vallée du Jourdain et, beaucoup plus loin, les collines rocheuses de Moab. Egalement au sud et à l'est, quand le soleil en éclairait les murs de marbre, on apercevait les villes gréco-romaines de la Décapole avec leurs amphithéâtres et leurs temples prétentieux. Et, quand ils s'attardaient au coucher du soleil, ils pouvaient distinguer, à l'ouest, les bateaux à voiles au loin sur la Méditerranée.
Jésus pouvait observer les convois de caravanes qui poursuivaient leur route dans quatre directions, entrant et sortant de Nazareth; au sud, il pouvait voir le large et fertile pays de plaine d'Esdraélon s'étendant vers le mont Gilboa et la Samarie.
Quand ils n'escaladaient pas les hauteurs pour regarder le paysage lointain, ils se promenaient à travers la campagne et étudiaient la nature sous ses divers aspects selon les saisons. La plus précoce éducation de Jésus, à part celle du foyer familial, avait consisté à prendre, avec la nature, un contact respectueux et sympathique.
Avant qu'il eût huit ans, il était connu de toutes les mères de famille et jeunes femmes de Nazareth; elles l'avaient rencontré et avaient causé avec lui à la fontaine proche de chez lui, qui était l'un des centres sociaux de rencontre et de commérage de la ville entière. Cette année-là, Jésus apprit à traire la vache de la famille et à prendre soin des autres animaux. Pendant cette année et l'année suivante, il apprit aussi à faire du fromage et à tisser. Quand il eut dix ans, il était un habile tisserand. C'est vers cette époque que Jésus et son petit voisin Jacob devinrent de grands amis du potier Nathan, qui travaillait près de la source jaillissante; tandis qu'ils observaient ses droits agiles moulant l'argile sur le tour, tous deux songèrent bien des fois à devenir potiers quand ils seraient grands. Nathan avait beaucoup d'affection pour les deux garçons et leur donnait souvent de la terre glaise pour jouer; il s'efforçait de stimuler leur imagination créatrice en leur suggérant de rivaliser dans le modelage d'objets et d'animaux divers.
Sa huitième année fut une année intéressante d'école. Bien que Jésus ne fût pas un étudiant extraordinaire, il était un élève appliqué et se classait dans le premier tiers de sa classe; il faisait si bien son travail qu'il était dispensé de présence une semaine par mois. Il passait généralement cette semaine soit avec son oncle pêcheur sur les bords de la mer de Galilée, près de Magdala, soit à la ferme d'un autre de ses oncles (le frère de sa mère) à huit kilomètres au sud de Nazareth.
Bien que sa mère soit devenue exagérément soucieuse de sa santé et de sa sécurité, elle s'habituait peu à peu à ces séjours hors de la maison. Les oncles et les tantes de Jésus l'aimaient beaucoup; il s'ensuivit parmi eux, au cours de cette année et des quelques années suivantes, une vive compétition pour s'assurer sa compagnie durant les visites mensuelles. La première fois (depuis sa petite enfance) qu'il séjourna une semaine dans la ferme de son oncle fut en janvier de cette année-là; sa première semaine d'expérience de pêche sur la mer de Galilée eut lieu au mois de mai.
A cette époque, Jésus rencontra un professeur de mathématiques de Damas et, après avoir appris quelques nouvelles techniques arithmétiques, il consacra beaucoup de temps aux mathématiques pendant plusieurs années. Il acquit un sens aigu des nombres, des distances et des proportions.
Jésus commença à beaucoup apprécier son frère Jacques. À la fin de l'année, il avait commencé à lui apprendre l'alphabet.
Cette année-là, Jésus fit des arrangements pour échanger des produits laitiers contre des leçons de harpe. Il avait un gout exceptionnel pour tout ce qui était musical. Plus tard, il contribua beaucoup à encourager la musique vocale parmi ses jeunes camarades. Quand il eut onze ans, il était un harpiste habile et prenait grand plaisir à faire entendre à sa famille et à ses amis ses extraordinaires interprétations et ses belles improvisations.
Tandis que Jésus faisait des progrès remarquables à l'école, tout n'allait pas sans encombre pour ses parents et pour ses maitres. Il persistait à poser quantité de questions embarrassantes concernant à la fois la science et la religion, particulièrement en géographie et en astronomie. Il insistait spécialement pour savoir pourquoi il y avait une saison sèche et une saison des pluies en Palestine. Maintes et maintes fois, il chercha l'explication de la grande différence entre les températures de Nazareth et celles de la vallée du Jourdain. Il ne cessait pour ainsi dire jamais de poser des questions de ce genre, intelligentes, mais embarrassantes.
Son troisième frère Simon naquit le vendredi soir 14 avril de cette année, l'an 2 de l'ère chrétienne.
En février, Nahor, professeur dans une académie rabbinique de Jérusalem, vint à Nazareth pour observer Jésus après avoir accompli une mission similaire chez Zacharie près de Jérusalem. Il vint à Nazareth à l'instigation du père de Jean. Au premier abord, il fut quelque peu choqué par la franchise de Jésus et sa manière peu classique de s'associer aux choses religieuses. Il l'attribua au fait que la Galilée était éloignée des centres hébreux d'instruction et de culture, et conseilla à Joseph et à Marie de lui permettre d'emmener Jésus à Jérusalem où il pourrait bénéficier des avantages de l'éducation et de l'instruction au centre de la culture juive. Marie était à moitié prête à consentir; elle était convaincue que son fils ainé allait devenir le Messie, le libérateur des Juifs. Joseph hésitait; il était également persuadé qu'en grandissant Jésus deviendrait un être humain de la destinée, mais il était profondément incertain de ce que serait cette destinée. Il ne douta cependant jamais réellement que son fils dût remplir quelque grande mission sur terre. Plus il pensait à l'avis de Nahor, plus il doutait de la sagesse de cette proposition de séjour à Jérusalem.
A cause de cette divergence d'opinion entre Joseph et Marie, Nahor demanda la permission de soumettre toute l'affaire à Jésus. Jésus l'écouta attentivement et en parla à Joseph, à Marie et à un voisin, Jacob le maçon, dont le fils était son camarade de jeu favori. Deux jours plus tard, Jésus exposa qu'il existait une grande divergence d'opinions entre ses parents et ses conseillers, et qu'il ne s'estimait pas qualifié pour prendre la responsabilité d'une telle décision, car il ne se sentait fortement poussé ni dans un sens ni dans l'autre. Dans ces conditions, il avait finalement décidé de “ parler à mon Père qui est au cieux ”. Bien qu'il ne fût pas parfaitement sûr de la réponse, il sentait qu'il devait plutôt rester à la maison “ avec mon père et ma mère ”. Il ajouta : “ Eux qui m'aiment tellement doivent être capables de faire plus pour moi et de me guider plus sûrement que des étrangers qui peuvent seulement voir mon corps et observer mes pensées, mais ne peuvent guère me connaître vraiment. ” Ils furent tous émerveillés, et Nahor s'en retourna à Jérusalem. Et il se passa bien des années avant que fût prise en considération l'idée que Jésus pourrait quitter son foyer.
On ne saurait dire que Jésus ait jamais été sérieusement malade, mais il contracta, dans sa neuvième année, de petites maladies d'enfance en même temps que ses frères et sa petite soeur.
Les classes continuaient; Jésus était toujours un élève estimé, ayant chaque mois une semaine de liberté, et il continuait à diviser ce temps à peu près également entre les excursions avec son père dans les villes avoisinantes, les séjours à la ferme de son oncle au sud de Nazareth et les parties de pêche au large de Magdala.
Le plus grave incident survenu jusque-là, à l'école, se produisit tard dans l'hiver lorsque Jésus osa défier le chazan, qui enseignait que les images, peintures et dessins étaient tous de nature idolâtre. Jésus avait autant de plaisir à dessiner les paysages qu'à modeler une grande variété d'objets en argile de potier. Tout ce genre de choses était strictement interdit par la loi juive, mais, jusque-là, Jésus était parvenu à surmonter les objections de ses parents, à tel point qu'ils lui avaient permis de poursuivre ces activités.
Il se produisit de nouveaux remous à l'école quand l'un des élèves les plus arriérés découvrit Jésus en train de dessiner, au fusain, un portrait du professeur sur le plancher de la classe. Le portrait était là, clair comme le jour, et plusieurs parmi les anciens l'avaient aperçu avant que le comité n'allât trouver Joseph pour exiger une intervention pour ramener son fils ainé dans le respect de la loi. Bien que ce ne fut pas la première plainte parvenue à Joseph et à Marie concernant les agissements de leur dynamique enfant aux talents variés, c'était la plus sérieuse de toutes les accusations portées, jusque-là, contre lui. Assis sur une grosse pierre, juste à l'extérieur de la porte de derrière, Jésus écouta pendant un moment la condamnation de ses efforts artistiques. Il s'irrita de voir blâmer son père pour ses prétendus méfaits; il s'avança donc intrépidement jusqu'à ses accusateurs. Les anciens furent plongés dans l'embarras. Quelques-uns furent enclins à prendre l'affaire avec humour, tandis qu'un ou deux autres semblaient penser que le garçon était sacrilège, voire blasphémateur. Joseph était désemparé et Marie indignée, mais Jésus insista pour être entendu. Il eut le droit de parler; il défendit courageusement son point de vue et, avec une maitrise de soi consommée, il annonça qu'il se conformerait à la décision de son père, en cela comme dans tous les autres cas prêtant à discussion. Sur quoi le comité des anciens partit en silence.
Marie fit pression sur Joseph pour permettre à Jésus de modeler de l'argile à la maison, pourvu qu'il promette de ne poursuivre, à l'école, aucune de ces activités contestables, mais Joseph était porté à poser en règle que l'interprétation rabbinique du second commandement devait prévaloir. En conséquence, Jésus ne dessina ni ne modela plus jamais une forme quelconque tant qu'il vécut chez son père. Pourtant, il ne fut pas convaincu d'avoir mal agi; mais l'abandon de son passe-temps favori fut l'une des grandes épreuves de sa jeunesse.
A la fin de juin, Jésus en compagnie de son père grimpa, pour la première fois, au sommet du mont Thabor. Le temps était clair et la vue superbe. Ce jeune garçon de neuf ans eut l'impression d'avoir réellement contemplé le monde entier, excepté l'Inde, l'Afrique et Rome.
Marthe, la deuxième soeur de Jésus, naquit la nuit du jeudi 13 septembre. Trois semaines après la naissance de Marthe, Joseph, qui était au foyer pour quelque temps, commença la construction d'un agrandissement de leur maison, un combiné d'atelier et de chambre à coucher. Un petit établi fut construit pour Jésus qui, pour la première fois, posséda des outils en propre. Pendant plusieurs années, il travailla à cet établi à ses moments perdus et devint très habile dans la fabrication des jougs.
Cet hiver-là et le suivant furent les plus froids à Nazareth depuis plusieurs décennies. Jésus avait vu de la neige sur les montagnes; la neige était tombée plusieurs fois à Nazareth sans rester longtemps sur le sol, mais jamais avant cet hiver Jésus n'avait vu de glace. Le fait que l'eau pouvait être solide, un liquide ou une vapeur – il avait longuement médité sur la vapeur s'échappant des pots d'eau bouillante – donna beaucoup à réfléchir au garçon sur le monde physique et sa constitution, et cependant, pendant tout ce temps, la personnalité incarnée dans cet enfant en pleine croissance était le véritable créateur et organisateur de toutes ces choses à travers tout un vaste univers.
Le climat de Nazareth n'était pas rude. Janvier était le mois le plus froid, avec une température moyenne d'environ 10º C. En juillet et en août, les mois les plus chauds, la température variait entre vingt-quatre et trente-deux degrés. Depuis les montagnes jusqu'au Jourdain et à la vallée de la Mer Morte, le climat de la Palestine s'échelonnait du froid au torride. En un sens, les Juifs étaient donc préparés à vivre à peu près dans n'importe lequel des climats variés du monde.
Même durant les mois d'été les plus chauds, une fraiche brise de mer soufflait habituellement de l'ouest de dix heures du matin à dix heures du soir. Mais, de temps en temps, de terribles vents chauds venant du désert oriental soufflaient sur toute la Palestine. Ces rafales brulantes survenaient généralement en février et mars, vers la fin de la saison des pluies. À cette époque, la pluie tombait de novembre à avril en averses rafraichissantes, mais il ne pleuvait pas d'une façon continue. Il n'y avait que deux saisons en Palestine, l'été et l'hiver, la saison sèche et la saison pluvieuse. En janvier, les fleurs commençaient à s'épanouir et, à la fin d'avril, tout le pays était un vaste jardin fleuri.
En mai de cette année, dans la ferme de son oncle, Jésus aida, pour la première fois, à la moisson des céréales. Avant d'avoir treize ans, il avait réussi à découvrir quelque chose sur pratiquement tous les métiers que les hommes et les femmes pratiquaient autour de Nazareth, à l'exception du travail des métaux, et, plus tard, après la mort de son père, il passa plusieurs mois dans l'atelier d'un forgeron.
Quand le travail et le passage des caravanes se ralentissaient, Jésus faisait avec son père beaucoup de voyages d'agrément ou d'affaires aux villes voisines de Cana, Endor et Naïn. Même étant jeune garçon, il avait fréquemment visité Sepphoris, située seulement à cinq kilomètres au nord-ouest de Nazareth; depuis quatre ans avant l'ère chrétienne jusqu'à l'an 25 environ, cette ville fut la capitale de la Galilée et l'une des résidences d'Hérode Antipas.
Jésus poursuivait son développement physique, intellectuel, social et spirituel. Ses déplacements hors de la maison contribuèrent beaucoup à lui donner une compréhension meilleure et plus généreuse de sa propre famille; à cette époque, ses parents eux-mêmes commencèrent à apprendre de lui en même temps qu'ils l'éduquaient. Même dans sa jeunesse, Jésus était un penseur original et un pédagogue habile. Il était en conflit constant avec la prétendue “ loi orale ”, mais cherchait toujours à s'adapter aux pratiques de sa famille. Il s'entendait assez bien avec les enfants de son âge, mais était souvent découragé par leur lenteur de pensée. Avant d'avoir dix ans, il était devenu le chef d'un groupe de sept garçons qui s'étaient réunis en une société pour acquérir les talents de l'âge mur – physiques, intellectuels et religieux. Jésus réussit à introduire, parmi ces garçons, beaucoup de nouveaux jeux et diverses méthodes améliorées de récréation physique.
Ce fut le 5 juillet, l'année de ses 10 ans, le premier sabbat du mois, tandis que Jésus se promenait dans la campagne avec son père, qu'il exprima des sentiments et des idées dénotant qu'il commençait à prendre conscience de la nature extraordinaire de la mission de sa vie. Joseph écouta attentivement les importantes paroles de son fils, mais fit peu de commentaires et ne donna spontanément aucun renseignement. Le lendemain, Jésus eut avec sa mère un entretien semblable, mais plus long. Marie écouta également les déclarations du garçon, mais elle non plus ne voulut donner aucun renseignement. Il se passa presque deux ans avant que Jésus ne parlât à ses parents des révélations croissantes, dans sa conscience, au sujet de la nature de sa personnalité et du caractère de sa mission terrestre.
Il entra, en août, à l'école supérieure de la synagogue. À l'école, il provoquait constamment des troubles par les questions qu'il persistait à poser. Il maintenait de plus en plus tout Nazareth dans un état de relative effervescence. Ses parents répugnèrent à lui interdire de poser ces questions troublantes; son principal professeur était très intrigué par la curiosité du garçon, sa perspicacité et sa soif de connaissance.
Les compagnons de jeu de Jésus ne voyaient rien de surnaturel dans sa conduite; sous la plupart des rapports, il leur ressemblait entièrement. Son intérêt pour l'étude était quelque peu supérieur à la moyenne, mais pas tout à fait exceptionnel. Il est bien vrai qu'à l'école, il posait plus de questions que ses camarades de classe.
Peut-être son trait le plus original et le plus remarquable était-il sa répugnance à combattre pour défendre ses droits. Puisqu'il était un garçon bien développé pour son âge, ses camarades de jeu trouvaient étrange qu'il fût peu enclin à se défendre, même quand il était en butte à l'injustice ou personnellement maltraité. Quoi qu'il en fût, il ne souffrit pas beaucoup de cette tendance à cause de l'amitié de Jacob, son petit voisin qui était son ainé d'un an. Jacob était le fils du maçon associé aux affaires de Joseph. Il était un grand admirateur de Jésus et faisait son affaire de veiller à ce que personne ne pût en imposer à Jésus en profitant de son aversion pour les bagarres physiques. Plusieurs fois, des jeunes gens plus âgés et brutaux attaquèrent Jésus, tablant sur sa docilité réputée, mais il reçurent toujours un sûr et rapide châtiment des mains de son champion et défenseur volontaire toujours prêt, Jacob le fils du maçon.
Jésus était communément accepté comme chef des garçons de Nazareth qui représentaient l'idéal le plus élevé de leur temps et de leur génération. Son cercle de jeunes l'aimait réellement, non seulement parce qu'il était équitable, mais aussi parce qu'il faisait montre d'une sympathie rare et compréhensive qui révélait l'amour et touchait à la compassion discrète.
Cette année-là, il commença à montrer une préférence marquée pour la compagnie de personnes plus mûres. Il était heureux d'avoir des entretiens sur des sujets culturels, éducatifs, sociaux, économiques, politiques et religieux avec des penseurs plus âgés; la profondeur de ses raisonnements et la finesse de ses observations charmaient tellement ses amis adultes qu'ils étaient toujours empressés à le fréquenter. Avant qu'il ne devienne soutien de famille, ses parents le poussaient constamment à se lier avec des enfants de son âge, ou plus proches de son âge, plutôt qu'avec des personnes plus âgées et plus instruites pour lesquelles il témoignait une telle préférence.
A la fin de cette année-là, il fit, avec son oncle, une expérience de deux mois de pêche sur la mer de Galilée, et réussit très bien. Avant d'atteindre l'âge d'être humain, il était devenu un pêcheur très expérimenté.
Son développement physique se poursuivait; à l'école, il était un élève avancé et privilégié; à la maison, il s'entendait assez bien avec ses frères et soeurs, ayant l'avantage d'être de trois ans et demi l'ainé du plus âgé d'entre eux. Il était bien considéré à Nazareth, sauf par les parents de quelques-uns des enfants plus lents d'esprit, qui parlaient souvent de Jésus comme étant trop effronté, manquant de l'humilité et de la réserve convenant à la jeunesse. Il manifestait une tendance croissante à orienter les jeux de ses jeunes camarades dans des directions plus sérieuses et plus réfléchies. Il était un éducateur né et ne pouvait absolument pas s'empêcher d'exercer cette fonction, même quand il était censé jouer.
Joseph commença de bonne heure à enseigner à Jésus les divers moyens de gagner sa vie, lui expliquant les avantages de l'agriculture sur l'industrie et le commerce. La Galilée était un district plus beau et prospère que la Judée, et la vie ne coutait guère que le quart de ce qu'elle coutait à Jérusalem et en Judée. C'était une province de villages agricoles et de cités industrielles prospères, contenant plus de deux-cents villes de plus de cinq-mille habitants et trente de plus de quinze-mille.
Pendant son premier voyage avec son père pour observer l'industrie de la pêche sur le lac de Galilée, Jésus avait presque décidé de devenir pêcheur; mais son intime association avec le métier de son père l'incita plus tard à devenir charpentier, tandis que, plus tard encore, une combinaison d'influences le conduisit à choisir définitivement la carrière d'éducateur religieux d'un ordre nouveau.